Archives de catégorie : Politiques Migratoires

La tribune de 35 parlementaires pour les travailleurs sans papiers

Dans Libération le 11 septembre 2023, 35 parlementaires signent une tribune afin d’appuyer la régularisation de travailleurs sans papiers et la facilitation de l’accès au travail pour les demandeurs d’asile. Le projet de loi Darmanin-Dussopt, qui pourrait reprendre après les sénatoriales de fin septembre son parcours parlementaire interrompu le 22 mars dernier, prévoit bien deux mesures dans ce sens dans ses articles 3 et 4. Le CRDE salue ces avancées, mais les juge encore trop timides (cf. ici ).

La droite et l’extrême droite sont vent debout contre ces mesures qui sont pourtant de bon sens. Nul ne sait exactement combien sont les travailleurs sans papiers dans notre pays : entre 200.000 et 800.000 selon les estimations. Sans même évoquer le drame humain que vivent ces personnes, sans même évoquer les arguments moraux qui plaident en faveur de la régularisation, sans se référer au respect des droits humains les plus fondamentaux, la simple et froide raison calculante permet de conclure à la nécessité impérieuse d’une régularisation massive :

  • Ces personnes sont indispensables à l’économie de notre pays. Sans elles, des secteurs entiers d’activité s’effondrent.
  • Ces personnes consomment des biens et des services, et paient donc des taxes. Autant de participation à l’économie qui partirait en fumée si on les expulsait en masse.
  • Le coût même d’une expulsion de masse de centaines de milliers de personnes serait exorbitant. Un rapport parlementaire récent (2019) a évalué à 13 800 euros le coût d’une expulsion d’étranger. Disons 14 000 aujourd’hui. Soit 1 milliard 400 millions pour 100.000 personnes. Le coût pour les finances publiques se situerait entre 3 et 12 milliards d’euros, au bas mot.
  • Encore faudrait-il qu’une telle expulsion de masse soit diplomatiquement et géo-politiquement réalisable. Qui imagine que les pays d’origine de ces personnes les reprendraient sans difficulté ? Quel serait le coût symbolique pour la France, son image, sur la scène internationale ?

Ceux et celles qui disent aux Français qu’une politique d’expulsion massive serait possible sont des menteurs. Ils mentent éhontément au peuple et aux citoyens. Ceux qui refusent d’accepter les conclusions logiques de la pure et froide raison calculante sont des irresponsables. La régularisation de tous les travailleurs sans papiers est une impérieuse nécessité.

Immigrés et descendants d’immigrés en France : la “Bible” des chiffres de l’INSEE

L’INSEE a fait paraître en mars dans la collection Insee Références un important volume de données statistiques et d’analyse sur l’immigration en France. Ce volume de 198 pages n’est forcément aisé à lire directement, d’autant plus que si le téléchargement est gratuit, il reste à imprimer le document …

Fort heureusement les statisticiens de l’INSEE sont aussi des pédagogues : on peut ainsi télécharger un livret de 15 pages qui délivre les principaux résultats sous forme d’infographies

Surtout, à partir de cette même page de l’INSEE on peut accéder directement à telle partie du gros volume selon ses intérêts :

Les 5 angles d’attaque des premiers dossiers sont les suivants :

Mais pour qui veut aller plus avant dans le détail, on pourra aller examiner aussi :

  • 10 fiches pour mieux connaitre la Population issue de l’immigration
  • 7 fiches sur les Flux d’immigration et les trajectoires migratoires
  • 4 fiches sur l’Education et la Maîtrise de la Langue
  • 5 fiches sur la Situation sur le Marché du Travail
  • 7 fiches sur les Conditions de Vie
  • 6 fiches sur la Vie sociale
  • ainsi qu’un grand nombre d’annexes

Voilà ! à chacun de jouer pour s’informer, éviter de répéter des bêtises propagées ci et là, et ne pas tomber dans les erreurs et outrances grossières.

180 personnes contre la Loi Darmanin

Nous étions 180 devant la Préfecture à protester contre la Loi Darmanin à l’appel des 15 associations du CRDE. Nous nous sommes ainsi associés à la cinquantaine de villes qui ont manifesté à la même date contre ce projet de loi, contre son utilitarisme migratoire (nous partageons l’appel du collectif Uni.es contre l’immigration jetable, à l’origine de cette journée)

Un bon moment avec des chants, de la musique, des visuels, des flashs sur le projet de loi, en utilisant aussi bien la prise de parole classique que des mini-saynètes (comme l’écrit le journaliste de Sud-Ouest)

Une bonne couverture de la Presse locale (Sud Ouest, La République des Pyrénées et France 3 Aquitaine). Des élus des municipalités de l’agglo, des membres de syndicats et de partis politiques de gauche avaient répondu présents, et des membres du réseau RESF. Merci à tous les participants !

La République des Pyrénées
27 mars 2023
Sud Ouest
27 mars 2023

France 3 Aquitaine
25 mars 2023
à partir de 1:00

France 3 Aquitaine se fait aussi l’écho dans cette édition des rassemblements de Bordeaux et de Bayonne

Nous avions opté pour des prises de parole pédagogiques, militantes sur un registre d’éducation populaire : le projet de loi est complexe, et nous avons voulu l’éclairer par 9 flashs jetés sur des points précis. Les voici :

Malgré le report du texte et son “saucissonage” annoncé par le président de la République le 22 mars dernier, nous faisons nôtre cet appel des associations nationales en restant vigilant pour refuser le projet Darmanin et les mesures qu’il porte.

Le Sénat s’attaque à l’A.M.E.

Le texte de la loi Immigration Asile est passé en commission des lois du Sénat le 15 mars 2023 et a été durci considérablement. Un des amendements retenus proposé par Mme Françoise Bourdin (LR) concerne la suppression de l’Aide Médicale d’Etat et son remplacement par une Aide Médicale d’Urgence (AMU) très restrictive.

Qu’est-ce que l’Aide Médicale d’Etat ? Ce dispositif est destiné aux étrangers présents illégalement en France depuis au moins 3 mois et qui ne dépassent pas un plafond de ressources (9 571€ par an pour une personne seule et 14 537€ pour un couple). Il faut fournir des justificatifs d’identité et de résidence pour ouvrir les droits. Cette aide ouvre le droit à la prise en charge à 100% de certains soins, dans la limite des tarifs de la Sécurité Sociale. Enfin, certains soins considérés comme non-urgents sont pris en charge au bout d’un délai de 9 mois après l’admission à l’AME. Les principaux motifs de soins sont les accouchements, la tuberculose et le VIH, selon un rapport d’information parlementaire de 2015, cité par le défenseur des droits.

L’amendement voté établit le paiement d’un droit de timbre pour accéder aux soins. Le remplacement par une Aide Médicale d’Urgence prévoit uniquement le traitement des maladies les plus graves et des douleurs aiguës, les soins liés à la grossesse et ses suites, les vaccinations réglementaires et les examens de médecine préventive.

Cet amendement très restrictif a été retenu au prétexte que l’AME créerait un « appel d’air migratoire ». Dès 2019, le défenseur des droits qualifiait cet argument « d’idée fausse ». Selon une enquête menée par des chercheurs, 10% des personnes interrogées et éligibles à cette aide citaient la santé comme raison de leur venue en France, les principales raisons de la venue en France étant, pour 47% des personnes, économiques et sociales. Les chercheurs ont également observé que moins d’un homme éligible sur 2 (47%) et 60% des femmes en bénéficient, selon cette même source.

Donc, nous le répétons, l’Aide Médicale d’Etat ne crée pas un appel d’air migratoire ! C’est pourtant ce qu’avancent certains qui se félicitent du vote d’un amendement remplaçant l’AME par une AMU qui offre une couverture de soins beaucoup moins complète et, de plus, accessible après le paiement d’un droit de timbre.

Supprimer l’AME pose un problème de santé publique. Et déjà l’instauration d’un délai de carence de 3 mois avait été dénoncé par Médecins du Monde et de nombreuses associations.

Il n’est même pas sûr que l’argument économique soit pertinent : l’AME coûte 1, 2 milliards d’euros par an. cela n’est rien rapporté au budget de la Santé dont le total s’élève à 244 millirads d’euros. L’AME représente 0,5 % du total. Autant dire : l’épaisseur du trait. Mais plus encore : si l’on ne soigne pas certains patients dès le début de leurs problèmes (qu’il faut détecter), on va retrouver ces mêmes patients plus tard avec des pathologies qui auront évolué, se seront aggravées, nécessitant alors des soins plus coûteux que si ces pathologies avaient été prises en charge plus tôt. In fine, la suppression de l’AME pourrait donc coûter plus cher que son maintien.

Dès lors pourquoi cet amendement inutile et contreproductif ? Eh bien nous dit Philippe Moreau-Chevrolet, spécialiste en communication politique, dans cette récente émission de France Info (à partir de 8 mn 46 sec), parce que “c’est un marqueur identitaire pour la droite dans sa compétition avec l’extrême droite et le RN. C’est une mesure purement discriminatoire et vexatoire, dont le sens est d’affirmer une certaine ‘préférence nationale’, de dire ‘ on est capable nous aussi de ne pas être sympa avec les étrangers’. Il s’agit d’une reprise de la rhétorique du RN par la droite LR.”

La position du CRDE est claire : Non à la fragilisation et à la restriction des droits à la santé des personnes exilées ! Non à l’abandon de l’Aide Médicale d’Etat !

Agnès Touya

Le projet de loi Darmanin (1/3)

Le projet de loi Darmanin qui va être examiné au Sénat à partir du 28 mars 2023 porte un nom balancé : « Contrôler l’immigration, améliorer l’intégration ».

Deux axes donc, énoncés dès le titre. Le premier axe nous inquiète, car il correspond à la dimension sécuritaire qui régit la politique migratoire de tous les gouvernements depuis des lustres. Le deuxième nous intéresse davantage, nous, associations, bénévoles et militants, qui savons combien le parcours d’arrivée en France est un parcours du combattant pour les étrangers non-communautaires.

L’examen du plan du projet ne nous rassure pas : le projet comporte 27 articles répartis en 5 titres. Seul le premier titre (8 articles, 8 pages) correspond à l’axe « Améliorer d’intégration ». Les quatre autres titres (19 articles, 29 pages), soit la plus grosse partie du texte, répondent tous à des préoccupations sécuritaires, administratives et policières :

  • Améliorer le dispositif d’éloignement des étrangers représentants une menace pour l’ordre public
  • Sanctionner l’exploitation des migrants et contrôler les frontières
  • Engager une réforme structurelle du droit d’asile
  • Simplifier les règles du contentieux étranger

Il ne faut pas s’y laisser tromper : derrière les mots positifs en apparence (améliorer, réformer, simplifier, … ), se cachent à peine des atteintes aux droits fondamentaux, aux libertés publiques, aux droits des étrangers, au droit d’asile, aux principes d’accueil, d’hospitalité et de fraternité.

Nous reviendrons très vite dans un autre article de ce site sur les mesures répressives de ce texte contenues dans ces 4 titres. Examinons d’abord les mesures potentiellement « positives » de ce projet de loi.

Voici quels sont les articles du titre I. :

Titre I : Assurer une meilleure intégration des étrangers par le travail et la langue
Chapitre 1 : Mieux intégrer par la langue
Article 1 : Conditionner la carte pluriannuelle a la maitrise minimale de la langue française
Article 2 : Mettre à la charge de l’employeur une obligation de formation à la langue française
Chapitre 2 : Favoriser le travail comme facteur d’intégration
Article 3 : Créer une carte de séjour temporaire mention « travail dans des métiers en tension »
Article 4 : Accélérer l’accès au marché du travail des demandeurs d’asile ressortissant de pays bénéficiant d’un taux de protection internationale élevé
Article 5 : Conditionner le statut d’auto-entrepreneur à la preuve de la régularité du séjour
Article 6 : Réformer les passeports « talent »
Article 7 : Création d’une carte de séjour “talent-professions médicales et de la pharmacie “
Chapitre 3 : Mieux protéger les étrangers contre les employeurs abusifs
Article 8 : Prévoir une amende administrative sanctionnant les employeurs d’étrangers ne détenant pas un titre les autorisant à travailler

Mieux intégrer par la langue (article 1 et 2)

Souci louable . Effectivement parler le français est un des facteurs essentiels de l’intégration. Mais cela est soumis à une temporalité. Un étranger apprend le français au cours de ses années d’intégration dans le pays

« Si la langue est un capital qui favorise l’insertion professionnelle, la plupart des immigrés apprennent la langue en travaillant.  » [1]

Dès lors subordonner l’octroi d’une carte pluriannuelle à une maîtrise minimale de la langue, qui, de surcroît, n’est pas défini par la loi, mais serait définie par un décret ultérieur, c’est mettre la charrue avant les bœufs , comme l’écrit F. Héran. [2]

On en vient à confondre les plans :  autant il est compréhensible de demander un niveau minimal de français pour la naturalisation, autant il est stupide de le faire pour le séjour : on transforme l’objectif (pouvoir parler et comprendre le français), en préalable, en prérequis. L’objectif est un résultat de l’intégration, pas son point de départ.

Une carte de séjour pluriannuelle c’est pour un immigré une sécurité. Pour la France, la carte pluriannuelle de séjour est un facteur qui favorise l’intégration.

Nous ne pensons pas qu’il faille restreindre encore l’octroi de ces cartes pluriannuelles . Au contraire nous plaidons pour un octroi plus facile, qui permette à la personne allophone de se concentrer sereinement sur son intégration (cours de langue, travail), au lieu d’avoir une épée de Damoclès administrative anxiogène au-dessus de la tête.

Notre expérience de terrain nous montre à l’envi que c’est de moyens de terrain qu’il y a besoin pour développer les cours de langue. Des règles contraignantes n’apporteront rien de plus.

Favoriser le travail comme facteur d’intégration

Une nouvelle carte de séjour pour les métiers en tension (article 3)

La création de cette carte a été annoncée dans une interview surprise accordée le 2 novembre 2022 au quotidien Le Monde par les deux ministres du Travail et de l’Intérieur (Olivier Dussopt et Gérald Darmanin)

A peine cette nouvelle annoncée, « la droite, fidèle à elle-même, hurla aussitôt à la ‘régularisation massive’, brandissant l’argument rituel de ‘l’appel d’air’, que ne manquerait pas de susciter ce nouveau titre de séjour »[3]. Olivier Dussopt rétropédala, et il semble bien que nous soyons en face d’un double discours : vers la gauche : « Voyez comme nous sommes accueillants » (ouverture, flou vers le haut quant au nombre de personnes concernées), vers la droite : « ça concernera très peu de monde » [4] (fermeture, restrictions, flou vers la baisse quant au nombre).

Le projet de loi prévoit la création, à titre expérimental, d’une carte de séjour temporaire mention « travail dans les métiers en tension »[5]

Les conditions d’accessibilité à cette carte sont :

  • Justifier d’au moins 3 ans de présence en France
  • Avoir au moins 8 mois (consécutifs ou non) d’activité professionnelle salariée au cours des 24 derniers mois
  • Dans un des métiers en tension listés par arrêté conjoint des ministres Intérieur et Travail
  • Et dans une zone géographique caractérisée par des difficultés de recrutement (liste administrative)

Nous citons ici la position de la Cimade :

La Cimade regrette en premier lieu que la mesure soit réduite aux seuls métiers considérés comme en tension. La liste des métiers en tension peine à coller aux réa­lités du terrain, parce qu’elle est établie sur la base de données incomplètes (seules les offres publiées via Pôle Emploi étant prises en compte) et parce que l’emploi de personnes sans-papiers comble de nombreux besoins de main d’œuvre. Ainsi, la plupart des secteurs qui embauchent massivement les personnes sans-papiers sont à ce jour presque absents de la liste des métiers en tension (bâtiment, restauration, ménage, aides à la personne…). (…)

Ainsi, l’approche « métiers en tension » perpétue une vision utilitariste de la main d’œuvre étrangère, perçue comme une variable d’ajustement face aux pénuries de main d’œuvre, tout en étant en décalage avec les réalités de terrain.

La Cimade déplore également la nécessaire justification de l’exercice d’une activité professionnelle (…) La logique absurde de la circulaire « Valls »[6], consistant à justifier d’une situation de travail illégal pour être régularisé·e, est sanctuarisée.

Dessin extrait du livret La Cimade : “Refuser la fabrique des sans-papiers”

La Cimade regrette également les restrictions apportées par l’exigence d’ancienneté de présence en France, peu pertinente au regard de l’enjeu de la mesure, et par l’exclusion des périodes d’activité professionnelles exercées sous certains statuts, pourtant réguliers.

Enfin et surtout, La Cimade regrette que le projet de loi ne comporte aucune autre mesure visant à favoriser l’accès à un titre de séjour.

L’accès au travail des demandeurs d’asile (article 4)

Depuis 2018 et la loi Collomb, les demandeurs d’asile n’ont pas le droit de travailler avant 6 mois de présence en France. Les « Dublinés » n’y ont pas droit du tout. Et encore cette possibilité n’existent qu’après autorisation administrative (elle n’est pas de plein droit).

Cette situation est bien sûr aberrante : on condamne ainsi des personnes à l’inactivité, à l’impossibilité d’accéder à des revenus autres que l’Aide aux Demandeurs d’Asile (ADA). Nous sommes témoins de l’envie de travailler, d’être actifs, utiles, qui habitent les demandeurs d’asile, à l’instar de tout être humain. La suspicion dont ils sont l’objet (« des paresseux qui voudraient profiter de l’ADA » ….) ne correspond en rien à la réalité (p.m. : l’ADA est de 200 euros par mois pour 1 personne seule si cette personne est logée en CADA ; comment voulez vous manger, acheter une carte de bus, une carte téléphonique, des vêtements, pourvoir à vos autres besoins … avec 200 euros par mois ?)

Le projet de loi Darmanin se propose de revenir très partiellement sur cette restriction . Certains demandeurs d’asile de certains pays (là encore une restriction : pays figurant sur une liste déterminée par l’autorité administrative, le critère étant le taux de protection accordé par la France pour les ressortissants de ces pays : dépassement d’un seuil fixé par décret) pourront travailler dès le dépôt de leur demande sans attendre les 6 mois et sans autorisation spécifique.  C’est une bonne chose, mais pourquoi ne pas l’étendre à tous les demandeurs d’asile ?

Il paraitrait raisonnable et nécessaire de permettre à tous les demandeurs d’asile de pouvoir travailler dès l’enregistrement de leur demande, à l’instar de ce qui a été fait pour les Ukrainiens (relevant du dispositif de protection temporaire) .

La position de la Cimade est claire :

En conformité avec les dispositions de la directive européenne sur l’accueil, La Cimade demande que l’ensemble des demandeurs d’asile aient accès au marché du travail dès l’enregistrement de leur demande et soient autorisés automatiquement à travailler.

Les mesures d’intégration de ce projet de loi ne sont pas à la hauteur

Sur l’apprentissage de la langue : ce n’est pas une mesure positive c’est une règle contraignante de plus. Règle contre-productive de surcroît qui n’aidera pas à l’intégration.

La carte de séjour « métier en tension » : beaucoup de flou sur la mesure, sur sa mise en œuvre, sur sa portée. Trop de restrictions et de conditions contraignantes. La mesure ne permet pas de sortir de l’aberration actuelle : il faut prouver avoir travaillé illégalement pour obtenir une carte de séjour légalisant votre travail !

Le travail ouvert aux demandeurs d’asile sans attendre 6 mois : c’est une bonne chose, mais c’est une demi-mesure si elle ne concerne pas tous les demandeurs d’asile.

Bref sur ces trois points qui sont censés traduire la volonté d’intégration du gouvernement, le bilan est très maigre. Beaucoup trop maigre.

Le gouvernement a préparé ce projet de loi seul, à partir de ses seules priorités, sans tenir vraiment compte de l’expertise des associations de solidarité avec les migrant.es, les réfugié.es, les exilé.es., sans élaborer le projet avec les acteurs de terrain. Le résultat est un projet extrêmement insuffisant et décevant dans la partie censée contenir les mesures « sucrées »

Vincent Cabanel

Retrouvez ICI notre dossier de travail sur ce projet de loi


[1] « Immigration, le grand déni » – François Héran, Le Seuil, collection La République des Idées, Paris 2023 – p.89

[2] Idem, p. 88

[3] Idem, p. 116

[4] Le ministre du Travail a dit sur France Info (3 novembre 2022) que cela toucherait tout au lus « quelques dizaines de milliers de personnes ». Puis, dans le Figaro, il a réduit encore la portée à « quelques milliers de personnes ». (Héran p 117)  Mais on sait que le même ministre a eu récemment des imprécisions fortes quant à certaines données chiffrées, dans un autre débat législatif…

[5] Pour la fin de ce paragraphe, nous citons presque  mot pour mot le « décryptage du projet de loi asile et immigration » réalisé par la Cimade en mars 2023

[6] La circulaire Valls est une circulaire du Premier ministre en date du 28 novembre 2012. C’est jusqu’à présent le seul texte qui donnait un cadre pour l’admission exceptionnelle au séjour des étrangers en situation irrégulière. Ces A.E.S. (admissions exceptionnelles au séjour) ressortent au pouvoir discrétionnaire (donc arbitraire) des préfets.

“Porteurs de Paroles”

Dimanche 18 décembre, ce n’est pas que la finale de la Coupe du Monde. C’est aussi la journée internationale des migrants (cf. petit encadré dans l’image ci-dessous pour le sens de cette journée).

Malgré le contexte lourd de ce trimestre (polémiques, infos tragiques, … concernant les questions migratoires), les bénévoles et militants du CRDE se lancent dans une action risquée : aller dialoguer avec les passants et chalands de Noël sur l’accueil des migrants. Allons-nous recueillir des flots de paroles douces et généreuses ou des paroles plus mitigées ? Rendez-vous sur notre site ici même en début de semaine prochaine pour le savoir !

Une obsession dangereuse sur les OQTF

Le 17 novembre, M. Gerald Darmanin, ministre de l’Intérieur a adressé une longue circulaire aux préfets, qui “pose le principe de l’application identique des méthodes employées pour le suivi des étrangers délinquants à l’ensemble des étrangers faisant l’objet d’une OQTF.

Pourtant le délit de séjour irrégulier n’existe plus en France !

Plus d’une trentaine d’associations, dont la LDH, la CIMADE, Médecins du Monde, le secours catholique, le MRAP, Emmaüs, le Samu Social de Paris, le Syndicat des Avocats de France, Utopia 56, etc. signent le Communiqué de Presse ci-après pour dénoncer cette circulaire et alerter sur les graves atteintes aux libertés fondamentales qui vont en découler.

Ce communiqué est à lire avec attention, tant il détaille avec précision les graves dangers que recèle cette circulaire.

La peur ou la confiance : deux politiques migratoires

Depuis 50 ans, au-delà de petites variations, nous connaissons ou avons connu deux grands types de politiques migratoires en France. L’un a très bien marché et n’a pas eu de conséquences néfastes, l’autre n’a fait que concentrer les difficultés et en générer de nouvelles. Saurez-vous deviner quel est celui qu’ont privilégié nos gouvernants ?

Une première politique, ouverte et confiante, applique le principe d’hospitalité

Le premier grand type de politique migratoire est fondé sur les promesses républicaines et démocratiques de la France contenues dans notre devise. Le goût de la Liberté nous rend accueillant à tous ceux qui s’en réclament et la défendent, autant pour eux que pour les autres. La passion de l’Egalité nous incline à l’amitié avec tous ceux qui ont été durement confrontés aux dictatures et totalitarismes guerriers ou insidieux. L’élan vers la Fraternité nous ouvre à tous les damnés de la Terre. L’Hospitalité devient alors le principe qui guide notre action, autant celle des  citoyens et de la société civile que celle de l’Etat.

Cette politique est celle que la France a mis en œuvre au moment des boat-people en 1979 (cf. cet article de Pierre Haski toujours actuel). Notre pays, inspiré par l’alliance exceptionnelle des deux grandes voix de Raymond Aron et de Jean-Paul Sartre, a su accueillir et intégrer sans sourciller plus de 120 000 exilés venus d’Asie du Sud -Est. C’est cette même politique que la France met en œuvre depuis février 2022 pour accueillir environ 100 000 réfugiés chassés de leur pays par la guerre en Ukraine. L’exhumation opportune d’une directive européenne de 2002 – initialement adoptée pour le Kosovo – a permis ce petit miracle.

Dans ces deux situations, la France n’a pas barguigné : les réfugiés ont été accueillis sur des principes de confiance, d’ouverture, en accordant tout de suite des droits essentiels : travail, hébergement, santé. L’hospitalité a guidé les attitudes et les démarches.

Rappelons ici la définition qu’une juriste propose de ce qui pourrait devenir un principe fondamental du droit international :

Conformément au principe d’Hospitalité, toute personne a la possibilité de demander d’accéder sur le territoire d’un autre Etat et d’y être accueillie provisoirement dans des conditions dignes qui assurent le respect des droits et libertés fondamentales, ainsi que la possibilité de demander de s’y installer, sous réserve de décisions contraires, nécessaires, adaptées et proportionnée pour des raisons d’ordre public ou d’intérêt général.

On entend assez peu parler des vietnamiens et des ukrainiens installés en France. Les gens heureux n’ont pas d’histoire.

Une seconde politique, restrictive et suspicieuse, se fonde sur la défense (supposée) de l’ordre public

Le second grand type de politique migratoire est fondé sur les préoccupations sécuritaires et la (supposée) défense de l’ordre public. Cette politique est policière avant tout. Elle rattache tout ce qui concerne les migrants exilés au ministère de l’Intérieur, y compris l’hébergement et le travail. Et même la santé. Elle se base sur la méfiance, congénitale posture de la police et de l’Etat dans sa paranoïa sécuritaire. Le migrant, l’exilé, l’étranger … y est d’abord considéré comme un fraudeur potentiel, un menteur putatif, un danger éventuel. Mineur isolé, demandeur d’asile, miséreux sans bagage,… « que me cache-t’ il ? en quoi me ment’ il ? » se demande d’abord et avant tout le fonctionnaire zélé qui représente l’Etat. « Certes il est nu, il est blessé, il est en désarroi… mais tout cela n’est-il pas que comédie ? »

Ce soupçon préalable guide toute cette politique, qui en est, par conséquence, restrictive et mesquine. On n’accorde qu’à regret des droits, comme si l’on était mécontent de n’avoir pas su déceler et prouver la fraude, le mensonge de « ce pelé, ce galeux » qu’est le « migrant » qui vient frapper à notre porte.

Cette politique migratoire sécuritaire et limitative est celle qui guide tous nos gouvernements depuis 50 ans (hormis les deux cas – non négligeables et très significatifs – cités précédemment, des boat people de 1979 et des Ukrainiens de 2022).

Elle est celle que la France applique envers la jeunesse et les femmes excisées d’Afrique sub-saharienne, envers les réfugiés fuyant les horreurs du Darfour et les guerres de la Corne de l’Afrique, envers les homosexuels, envers les femmes battues et violées, envers les Bangladais qui fuient devant la montée des eaux…

Même dans le cas pourtant emblématique des Afghans, la France en a accueilli moins de 50 000 ! Beaucoup moins que d’autres pays européens. (1) Nous avons entendu, avec honte et colère,  mi-août 2021, le président Macron alerter les Français contre le « risque de vagues migratoires incontrôlées » (venant d’un Afghanistan qui venait la veille de tomber aux mains des Talibans !). Que l’on mesure l’énormité du propos : Kaboul tombé aux mains des extrémistes islamistes que sont les Talibans, et M. Macron prend des gants ! C’était pourtant le moment ou jamais d’activer le premier registre de politique migratoire présenté ci-dessus : « hospitalité pour les amis de la liberté ! 

On se souvient de même de la crise de 2015 avec l’arrivée en Europe de millions de Syriens : malgré les promesses de M. Valls, alors Premier ministre, la France, à ce jour, n’en a pas accueilli une part conforme à sa position. Je cite François Héran qui estime que notre effort our les Syriens aurait pu (dû) être 7 à 8 fois supérieur à ce qu’il a été:

Si l’on admet qu’un pays doit accueillir les exilés enregistrés en Europe à proportion de ses capacités structurelles, il est clair que la France est très loin du compte à l’égard des Syriens. Elle aurait dû, en toute équité, enregistrer entre 170 000 et 200 000 demandes syriennes, et non pas 25 000.

F. Heran – IC Migrations – 24 juin 2022

Cette politique mesquine et suspicieuse, sécuritaire et restrictive n’engendre que malheurs et funestes réactions : elle enferme dans les CRA, elle refoule, elle jette dans les camps de misère, elle noie dans nos mers frontalières, elle laisse à la rue, elle nie, elle tue ! Elle stigmatise sans raison, elle crée des boucs émissaires que les entrepreneurs de haine, médiatiques et politiques, ne cessent de clouer au pilori, attisant les passions populacières les plus viles, désintégrant une société française qui pourrait sans cela, aller mieux.

Deux politiques …. Laquelle choisir ?

 On aura compris notre choix. Nous pensons que seuls la confiance et l’accueil sont dignes de nos choix. Nous voulons une politique migratoire basée sur le principe d’Hospitalité.

Toute autre politique est indigne de la France, de ce que nous voulons être, comme pays et société.

Nous déplorons que – pour des raisons qui mériteraient d’autres analyses, nos gouvernants aient – depuis 50 ans au moins, privilégié et choisi des politiques du second type. Ils ont moralement tort. Et ils se trompent, parce que cette immoralité est, de surcroit, inefficace et contre-productive.

Vincnt Cabanel

(1) Le Monde – 20 avril 2022 – France peu attractive pour les réfugiés

Vers un nouveau droit fondamental : l’Hospitalité

Stand CIMADE – Les Idées Mènent le Monde – 20 novembre 2022

Marie-Laure Morin était l’invitée de la CIMADE pour le festival « Les Idées mènent le Monde » ce dimanche 20 novembre à Pau.

Marie Laure Morin est juriste, ancienne directrice de recherche au CNRS et ex-conseillère à la Cour de cassation en service extraordinaire. Pendant dix ans elle a été bénévole dans une association d’accompagnement des migrants. Elle est maintenant défenseure des droits à Toulouse.

Devant une petite salle bien pleine, elle a expliqué pourquoi elle avait écrit ce livre « Faire de l’étranger un hôte » et mené cette recherche qui permettrait d’ériger l’hospitalité en droit fondamental.

Les droits des étrangers sont violés

Bénévole à la CIMADE de Toulouse, Marie-Laure Morin a, comme tous les militants, fait ce constat dur et froid : les droits fondamentaux des étrangers ne cessent d’être violés (en France, mais aussi en Europe, et dans tous les pays traversés par les « migrants »).

Le droit au logement est constamment bafoué ou ignoré par les pouvoirs publics, les mineurs ne reçoivent pas la protection qui leur est due, la liberté d’aller et venir, droit fondamental s’il en est, est brimée, limitée sans nécessité ni proportionnalité à quelque but que ce soit.

Comment alors pour ne pas militer seulement « en défensive » mais aussi « en ouverture », en proposant des pistes positives ? Comment faire pour qu’on arrive à raisonner autrement ? « Pour la juriste que je suis, ce n’est pas acceptable : on viole des droits fondamentaux, et il ne se passe rien ! »

La DUDH de 1948

Marie-Laure Morin propose alors de revenir à la source, à la DUDH de 1948 (Déclaration Universelle des Droits de l’Homme ou Droits Humains). C’est en réaction à l’événement terrible que fut la seconde guerre mondiale, et à la découverte des extrêmes d’inhumanité, de déshumanisation (Shoah, camps de concentration, d’extermination, génocides, …) auxquels avaient conduit les totalitarismes du XXe siècle, que se construit l’idée exprimée ainsi par Hannah Arendt : « l’existence d’un droit d’avoir des droits ».

Il faut relire le début du préambule de la DUDH :

Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde.

Considérant que la méconnaissance et le mépris des droits de l’homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l’humanité….

Déclaration UNIVERSELLE DES droits de l’Homme – 1948

La DUDH opère dans l’histoire de l’humanité un saut juridique et anthropologique : il ne s’agit pas seulement de proclamer des droits des citoyens ou des nationaux d’un pays (du fait de leur appartenance à une communauté politique) mais de reconnaitre les droits de chaque être humain, de tout être humain, en tant qu’humain, du fait de sa qualité d’être humain, sans considération de son appartenance ou de sa non-appartenance à telle communauté. La DUDH et la logique des droits fondamentaux sont incompatibles avec toute idée de préférence nationale dans la reconnaissance de ces droits fondamentaux.

Ce que dit aussi ce préambule de la DUDH c’est que le non-respect de ces droits fondamentaux, et donc le non-respect des droits des étrangers menace la paix et la justice et est source de désordres, de désintégration des sociétés, et de conflits mondiaux. Respecter les droits des migrants est un impératif non seulement moral, mais vital pour la stabilité de nos sociétés. C’est une question de solidité de notre état de droit.

“L’Hospitalité est indispensable, parce que la Terre est ronde” (Kant)

Mais sur quel fondement s’appuyer pour garantir et faire respecter ces droits des étrangers qui sont si souvent bafoués, niés, violés ? La fraternité, récemment reconnue comme principe constitutionnel effectif par les plus hautes juridictions françaises peut être un de ces socles, mais il est encore trop restreint. Il faut revenir à Emmanuel Kant qui « déduit un « principe d’hospitalité universelle » de la forme sphérique de la Terre : elle « oblige les êtres humains à se supporter parce que la dispersion à l’infini est impossible, et qu’originairement l’un n’a pas plus de droit que l’autre à une contrée ». Projet de paix perpétuelle (1795-1796)

Mireille Delmas-Marty (1941 – 1922), grande juriste française, a l’idée de faire de l’hospitalité un principe juridique effectif pour qu’il soit le socle solide du respect des droits des étrangers[i]. Marie Laure Morin creuse et travaille cette idée, élabore ce que pourrait être ce nouveau droit fondamental, la façon dont il peut émerger un jour dans le droit (traité international, jurisprudence, mouvements sociaux, …) et comment il permettrait de transformer les politiques migratoires actuelles.

Ce principe juridique pourrait s’énoncer ainsi :

« Conformément au principe d’Hospitalité, toute personne a la possibilité de demander d’accéder sur le territoire d’un autre Etat et d’y être accueillie provisoirement dans des conditions dignes qui assurent le respect des droits et libertés fondamentales, ainsi que la possibilité de demander de s’y installer, sous réserve de décisions contraires, nécessaires, adaptées et proportionnée pour des raisons d’ordre public ou d’intérêt général » [ii]

Une autre politique migratoire est possible

Notre politique migratoire est aujourd’hui une politique de sécurité et d’ordre public qui se trouve entièrement sous la coupe et la dépendance du ministère de l’Intérieur : même les questions de travail, de santé et de nationalité qui dépendaient autrefois d’autres ministères, ont été transférées, pour les étrangers, aux services de la place Beauvau.

De plus il s’agit d’une politique dans laquelle le rôle de l’administration est démesuré. Quasiment tout y est sous le pouvoir discrétionnaire de l’Etat, hors du contrôle du juge judiciaire, seul réel garant des libertés individuelles (article 66 de la Constitution). Et cette politique est aujourd’hui une politique basée sur le soupçon de fraude généralisée. L’étranger, le migrant est d’abord vu par l’administration comme un fraudeur potentiel, beaucoup plus que comme une personne qui a des droits indérogeables.

La bonne nouvelle, c’est que cette « utopie concrète » que présente le livre de Marie-Laure Morin et les idées développées dans cet article, dessine une autre politique qui est possible ! Plus encore : cette politique est déjà expérimentée : c’est celle qui a été mise en œuvre en Europe et en France pour les réfugiés ukrainiens. La directive européenne de 2001, faite initialement pour répondre à la crise du Kosovo, a finalement servi pour les Ukrainiens. Elle aurait pu être mise en œuvre pour les Syriens et pour les Afghans, mais elle ne le fut pas pour des raisons qu’il ne faut peut-être pas trop creuser …

Contentons-nous pour terminer cet article d’encourager à lire le livre de Marie-Laure Morin et de travailler avec ardeur à la proclamation du droit fondamental à l’hospitalité.

Le chemin est clair : travailler à passer d’une politique migratoire sécuritaire à une politque migratoire hospitalière.

Vincent Cabanel


[i] Mireille Delmas-Marty : « Faire de l’hospitalité un principe » (Le Monde , 12 avril 2018) – Voir aussi cette tribune de Etienne Balibar en août 2018. « Pour un droit international de l’Hospitalité »

[ii] Marie-Laure Morin, op.cit. p 111