Marie-Laure Morin était l’invitée de la CIMADE pour le festival « Les Idées mènent le Monde » ce dimanche 20 novembre à Pau.
Marie Laure Morin est juriste, ancienne directrice de recherche au CNRS et ex-conseillère à la Cour de cassation en service extraordinaire. Pendant dix ans elle a été bénévole dans une association d’accompagnement des migrants. Elle est maintenant défenseure des droits à Toulouse.
Devant une petite salle bien pleine, elle a expliqué pourquoi elle avait écrit ce livre « Faire de l’étranger un hôte » et mené cette recherche qui permettrait d’ériger l’hospitalité en droit fondamental.
Les droits des étrangers sont violés
Bénévole à la CIMADE de Toulouse, Marie-Laure Morin a, comme tous les militants, fait ce constat dur et froid : les droits fondamentaux des étrangers ne cessent d’être violés (en France, mais aussi en Europe, et dans tous les pays traversés par les « migrants »).
Le droit au logement est constamment bafoué ou ignoré par les pouvoirs publics, les mineurs ne reçoivent pas la protection qui leur est due, la liberté d’aller et venir, droit fondamental s’il en est, est brimée, limitée sans nécessité ni proportionnalité à quelque but que ce soit.
Comment alors pour ne pas militer seulement « en défensive » mais aussi « en ouverture », en proposant des pistes positives ? Comment faire pour qu’on arrive à raisonner autrement ? « Pour la juriste que je suis, ce n’est pas acceptable : on viole des droits fondamentaux, et il ne se passe rien ! »
La DUDH de 1948
Marie-Laure Morin propose alors de revenir à la source, à la DUDH de 1948 (Déclaration Universelle des Droits de l’Homme ou Droits Humains). C’est en réaction à l’événement terrible que fut la seconde guerre mondiale, et à la découverte des extrêmes d’inhumanité, de déshumanisation (Shoah, camps de concentration, d’extermination, génocides, …) auxquels avaient conduit les totalitarismes du XXe siècle, que se construit l’idée exprimée ainsi par Hannah Arendt : « l’existence d’un droit d’avoir des droits ».
Il faut relire le début du préambule de la DUDH :
Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde.
Considérant que la méconnaissance et le mépris des droits de l’homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l’humanité….
Déclaration UNIVERSELLE DES droits de l’Homme – 1948
La DUDH opère dans l’histoire de l’humanité un saut juridique et anthropologique : il ne s’agit pas seulement de proclamer des droits des citoyens ou des nationaux d’un pays (du fait de leur appartenance à une communauté politique) mais de reconnaitre les droits de chaque être humain, de tout être humain, en tant qu’humain, du fait de sa qualité d’être humain, sans considération de son appartenance ou de sa non-appartenance à telle communauté. La DUDH et la logique des droits fondamentaux sont incompatibles avec toute idée de préférence nationale dans la reconnaissance de ces droits fondamentaux.
Ce que dit aussi ce préambule de la DUDH c’est que le non-respect de ces droits fondamentaux, et donc le non-respect des droits des étrangers menace la paix et la justice et est source de désordres, de désintégration des sociétés, et de conflits mondiaux. Respecter les droits des migrants est un impératif non seulement moral, mais vital pour la stabilité de nos sociétés. C’est une question de solidité de notre état de droit.
“L’Hospitalité est indispensable, parce que la Terre est ronde” (Kant)
Mais sur quel fondement s’appuyer pour garantir et faire respecter ces droits des étrangers qui sont si souvent bafoués, niés, violés ? La fraternité, récemment reconnue comme principe constitutionnel effectif par les plus hautes juridictions françaises peut être un de ces socles, mais il est encore trop restreint. Il faut revenir à Emmanuel Kant qui « déduit un « principe d’hospitalité universelle » de la forme sphérique de la Terre : elle « oblige les êtres humains à se supporter parce que la dispersion à l’infini est impossible, et qu’originairement l’un n’a pas plus de droit que l’autre à une contrée ». Projet de paix perpétuelle (1795-1796)
Mireille Delmas-Marty (1941 – 1922), grande juriste française, a l’idée de faire de l’hospitalité un principe juridique effectif pour qu’il soit le socle solide du respect des droits des étrangers[i]. Marie Laure Morin creuse et travaille cette idée, élabore ce que pourrait être ce nouveau droit fondamental, la façon dont il peut émerger un jour dans le droit (traité international, jurisprudence, mouvements sociaux, …) et comment il permettrait de transformer les politiques migratoires actuelles.
Ce principe juridique pourrait s’énoncer ainsi :
« Conformément au principe d’Hospitalité, toute personne a la possibilité de demander d’accéder sur le territoire d’un autre Etat et d’y être accueillie provisoirement dans des conditions dignes qui assurent le respect des droits et libertés fondamentales, ainsi que la possibilité de demander de s’y installer, sous réserve de décisions contraires, nécessaires, adaptées et proportionnée pour des raisons d’ordre public ou d’intérêt général » [ii]
Une autre politique migratoire est possible
Notre politique migratoire est aujourd’hui une politique de sécurité et d’ordre public qui se trouve entièrement sous la coupe et la dépendance du ministère de l’Intérieur : même les questions de travail, de santé et de nationalité qui dépendaient autrefois d’autres ministères, ont été transférées, pour les étrangers, aux services de la place Beauvau.
De plus il s’agit d’une politique dans laquelle le rôle de l’administration est démesuré. Quasiment tout y est sous le pouvoir discrétionnaire de l’Etat, hors du contrôle du juge judiciaire, seul réel garant des libertés individuelles (article 66 de la Constitution). Et cette politique est aujourd’hui une politique basée sur le soupçon de fraude généralisée. L’étranger, le migrant est d’abord vu par l’administration comme un fraudeur potentiel, beaucoup plus que comme une personne qui a des droits indérogeables.
La bonne nouvelle, c’est que cette « utopie concrète » que présente le livre de Marie-Laure Morin et les idées développées dans cet article, dessine une autre politique qui est possible ! Plus encore : cette politique est déjà expérimentée : c’est celle qui a été mise en œuvre en Europe et en France pour les réfugiés ukrainiens. La directive européenne de 2001, faite initialement pour répondre à la crise du Kosovo, a finalement servi pour les Ukrainiens. Elle aurait pu être mise en œuvre pour les Syriens et pour les Afghans, mais elle ne le fut pas pour des raisons qu’il ne faut peut-être pas trop creuser …
Contentons-nous pour terminer cet article d’encourager à lire le livre de Marie-Laure Morin et de travailler avec ardeur à la proclamation du droit fondamental à l’hospitalité.
Le chemin est clair : travailler à passer d’une politique migratoire sécuritaire à une politque migratoire hospitalière.
Vincent Cabanel
[i] Mireille Delmas-Marty : « Faire de l’hospitalité un principe » (Le Monde , 12 avril 2018) – Voir aussi cette tribune de Etienne Balibar en août 2018. « Pour un droit international de l’Hospitalité »
[ii] Marie-Laure Morin, op.cit. p 111