Depuis 50 ans, au-delà de petites variations, nous connaissons ou avons connu deux grands types de politiques migratoires en France. L’un a très bien marché et n’a pas eu de conséquences néfastes, l’autre n’a fait que concentrer les difficultés et en générer de nouvelles. Saurez-vous deviner quel est celui qu’ont privilégié nos gouvernants ?
Une première politique, ouverte et confiante, applique le principe d’hospitalité
Le premier grand type de politique migratoire est fondé sur les promesses républicaines et démocratiques de la France contenues dans notre devise. Le goût de la Liberté nous rend accueillant à tous ceux qui s’en réclament et la défendent, autant pour eux que pour les autres. La passion de l’Egalité nous incline à l’amitié avec tous ceux qui ont été durement confrontés aux dictatures et totalitarismes guerriers ou insidieux. L’élan vers la Fraternité nous ouvre à tous les damnés de la Terre. L’Hospitalité devient alors le principe qui guide notre action, autant celle des citoyens et de la société civile que celle de l’Etat.
Cette politique est celle que la France a mis en œuvre au moment des boat-people en 1979 (cf. cet article de Pierre Haski toujours actuel). Notre pays, inspiré par l’alliance exceptionnelle des deux grandes voix de Raymond Aron et de Jean-Paul Sartre, a su accueillir et intégrer sans sourciller plus de 120 000 exilés venus d’Asie du Sud -Est. C’est cette même politique que la France met en œuvre depuis février 2022 pour accueillir environ 100 000 réfugiés chassés de leur pays par la guerre en Ukraine. L’exhumation opportune d’une directive européenne de 2002 – initialement adoptée pour le Kosovo – a permis ce petit miracle.
Dans ces deux situations, la France n’a pas barguigné : les réfugiés ont été accueillis sur des principes de confiance, d’ouverture, en accordant tout de suite des droits essentiels : travail, hébergement, santé. L’hospitalité a guidé les attitudes et les démarches.
Rappelons ici la définition qu’une juriste propose de ce qui pourrait devenir un principe fondamental du droit international :
Conformément au principe d’Hospitalité, toute personne a la possibilité de demander d’accéder sur le territoire d’un autre Etat et d’y être accueillie provisoirement dans des conditions dignes qui assurent le respect des droits et libertés fondamentales, ainsi que la possibilité de demander de s’y installer, sous réserve de décisions contraires, nécessaires, adaptées et proportionnée pour des raisons d’ordre public ou d’intérêt général.
On entend assez peu parler des vietnamiens et des ukrainiens installés en France. Les gens heureux n’ont pas d’histoire.
Une seconde politique, restrictive et suspicieuse, se fonde sur la défense (supposée) de l’ordre public
Le second grand type de politique migratoire est fondé sur les préoccupations sécuritaires et la (supposée) défense de l’ordre public. Cette politique est policière avant tout. Elle rattache tout ce qui concerne les migrants exilés au ministère de l’Intérieur, y compris l’hébergement et le travail. Et même la santé. Elle se base sur la méfiance, congénitale posture de la police et de l’Etat dans sa paranoïa sécuritaire. Le migrant, l’exilé, l’étranger … y est d’abord considéré comme un fraudeur potentiel, un menteur putatif, un danger éventuel. Mineur isolé, demandeur d’asile, miséreux sans bagage,… « que me cache-t’ il ? en quoi me ment’ il ? » se demande d’abord et avant tout le fonctionnaire zélé qui représente l’Etat. « Certes il est nu, il est blessé, il est en désarroi… mais tout cela n’est-il pas que comédie ? »
Ce soupçon préalable guide toute cette politique, qui en est, par conséquence, restrictive et mesquine. On n’accorde qu’à regret des droits, comme si l’on était mécontent de n’avoir pas su déceler et prouver la fraude, le mensonge de « ce pelé, ce galeux » qu’est le « migrant » qui vient frapper à notre porte.
Cette politique migratoire sécuritaire et limitative est celle qui guide tous nos gouvernements depuis 50 ans (hormis les deux cas – non négligeables et très significatifs – cités précédemment, des boat people de 1979 et des Ukrainiens de 2022).
Elle est celle que la France applique envers la jeunesse et les femmes excisées d’Afrique sub-saharienne, envers les réfugiés fuyant les horreurs du Darfour et les guerres de la Corne de l’Afrique, envers les homosexuels, envers les femmes battues et violées, envers les Bangladais qui fuient devant la montée des eaux…
Même dans le cas pourtant emblématique des Afghans, la France en a accueilli moins de 50 000 ! Beaucoup moins que d’autres pays européens. (1) Nous avons entendu, avec honte et colère, mi-août 2021, le président Macron alerter les Français contre le « risque de vagues migratoires incontrôlées » (venant d’un Afghanistan qui venait la veille de tomber aux mains des Talibans !). Que l’on mesure l’énormité du propos : Kaboul tombé aux mains des extrémistes islamistes que sont les Talibans, et M. Macron prend des gants ! C’était pourtant le moment ou jamais d’activer le premier registre de politique migratoire présenté ci-dessus : « hospitalité pour les amis de la liberté !
On se souvient de même de la crise de 2015 avec l’arrivée en Europe de millions de Syriens : malgré les promesses de M. Valls, alors Premier ministre, la France, à ce jour, n’en a pas accueilli une part conforme à sa position. Je cite François Héran qui estime que notre effort our les Syriens aurait pu (dû) être 7 à 8 fois supérieur à ce qu’il a été:
Si l’on admet qu’un pays doit accueillir les exilés enregistrés en Europe à proportion de ses capacités structurelles, il est clair que la France est très loin du compte à l’égard des Syriens. Elle aurait dû, en toute équité, enregistrer entre 170 000 et 200 000 demandes syriennes, et non pas 25 000.
F. Heran – IC Migrations – 24 juin 2022
Cette politique mesquine et suspicieuse, sécuritaire et restrictive n’engendre que malheurs et funestes réactions : elle enferme dans les CRA, elle refoule, elle jette dans les camps de misère, elle noie dans nos mers frontalières, elle laisse à la rue, elle nie, elle tue ! Elle stigmatise sans raison, elle crée des boucs émissaires que les entrepreneurs de haine, médiatiques et politiques, ne cessent de clouer au pilori, attisant les passions populacières les plus viles, désintégrant une société française qui pourrait sans cela, aller mieux.
Deux politiques …. Laquelle choisir ?
On aura compris notre choix. Nous pensons que seuls la confiance et l’accueil sont dignes de nos choix. Nous voulons une politique migratoire basée sur le principe d’Hospitalité.
Toute autre politique est indigne de la France, de ce que nous voulons être, comme pays et société.
Nous déplorons que – pour des raisons qui mériteraient d’autres analyses, nos gouvernants aient – depuis 50 ans au moins, privilégié et choisi des politiques du second type. Ils ont moralement tort. Et ils se trompent, parce que cette immoralité est, de surcroit, inefficace et contre-productive.
Vincnt Cabanel
(1) Le Monde – 20 avril 2022 – France peu attractive pour les réfugiés