Tous les articles par Vincent Cabanel

Plus de 600 morts : le naufrage de Pylos est le plus meurtrier depuis 2016

Le 8 juin 2023 : le Conseil de l’UE parvient à un accord sur le Pacte européen Immigration-Asile : ce Pacte risque d’éroder le droit d’asile, sous couvert d’harmonisation européenne.

Le 14 juin 2023 : Un bateau de pêche surchargé, avec à son bord 750 personnes exilées en quête de refuge a subi un naufrage au large de Pylos (Sud-Ouest de la Grèce). Seuls 104 personnes ont été sauvées, ce qui laisse un bilan de 600 morts au moins.

Voici la lettre ouverte co-signée par le réseau Migreurop dont la Cimade est membre, aux côtés de plus de 180 organisations et initiatives de défense des droits humains, ainsi que de Tima Kurdi, tante d’Alan Kurdi.

« La mer Méditerranée n’est pas seulement un cimetière,
c’est une scène de crime »

Aujourd’hui, à l’occasion de la Journée mondiale des réfugié·e·s, nous nous rassemblons pour exiger des enquêtes complètes et indépendantes sur ces événements, la prise de mesures à l’encontre des responsables, la fin des pratiques systématiques de refoulement aux frontières européennes et que justice soit rendue pour les victimes.

10 ans après les deux naufrages au large de Lampedusa, en Italie, qui ont fait environ 600 morts et provoqué un immense tollé, près de 600 personnes se sont noyées au large de Pylos, en Grèce, dans la mer Méditerranée. Le 14 juin 2023, une fois de plus, le régime européen des frontières a tué des personnes qui exerçaient leur droit à rechercher une protection. Nous sommes bouleversé·e·s ! Nous sommes solidaires avec tout·e·s les survivant·e·s, les familles et ami·e·s des personnes décédées. Nous exprimons nos profondes condoléances et notre chagrin.

Jusqu’à présent, d’innombrables questions restent sans réponse. Selon les témoignages des survivant·e·s, les garde-côtes helléniques ont remorqué le bateau et l’ont fait chavirer. Pourquoi cette manœuvre terriblement dangereuse a-t-elle été tentée ? Les garde-côtes helléniques ont-ils remorqué le bateau vers l’Italie pour emmener les personnes dans une zone censée être sous la responsabilité de l’Italie ou de Malte ? Pourquoi ni les garde-côtes grecs ni les autorités italiennes ou maltaises ne sont-ils intervenus plus tôt, alors qu’ils avaient été alertés au moins 12 heures auparavant ? Quel rôle a joué l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes Frontex ?

Au milieu de toutes ces incertitudes, une chose ne fait aucun doute  : ce naufrage – comme d’innombrables autres avant lui – est la conséquence directe de décisions politiques prises pour empêcher les gens d’arriver en Europe. Ce naufrage résulte de l’impunité dont bénéficient les États dans la mise en œuvre d’activités illégales aux frontières et de la légalisation de pratiques visant à normaliser la privation de droits des personnes en déplacement. Des militant·e·s et des organisations ont dénoncé les refoulements systématiques, les retards et les omissions de sauvetage, la criminalisation des opérations civiles de recherche et de sauvetage, ainsi que la coopération avec des pays qui ne sont pas sûrs pour externaliser les frontières européennes et procéder à des refoulements. Les politiques européennes de migration et d’externalisation sont responsables des violences physiques et psychologiques subies par les personnes migrantes, leur enfermement et leur mort. Arrêtez de vous détourner de votre responsabilité – Arrêtez de tuer les personnes migrantes !

Jusqu’à présent, l’Union européenne et ses États membres n’ont montré aucune intention de tirer les leçons des années passées et de mettre un terme aux morts en Méditerranée. Au contraire, ils renforcent leur politique mortelle d’isolement. Pas plus tard que la semaine dernière, le 8 juin, le Conseil de l’Union européenne a approuvé une réforme du régime d’asile européen commun (RAEC) qui a entraîné une privation massive des droits fondamentaux, tels que le droit d’asile ou le droit de circuler librement.

Alors que les conditions dans les pays d’origine, de transit et de départ, se détériorent et que les pratiques frontalières obligent les personnes en migration à emprunter des itinéraires de plus en plus dangereux, ce n’était qu’une question de temps avant que le prochain naufrage ne se produise. Et il y en aura d’autres ! Depuis les naufrages de Lampedusa en 2013, au moins 27 047 personnes ont perdu la vie en mer Méditerranée. L’une d’entre elle était Alan Kurdi. Sa tante, Tima Kurdi, parle haut et fort de ce naufrage meurtrier :

Ce naufrage ravive ma douleur, notre douleur. J’ai le cœur brisé. J’ai le cœur brisé pour toutes les âmes innocentes perdues qui ne sont pas que des chiffres dans ce monde. En 2015, nous avons entendu le mot « plus jamais ça », je l’ai entendu un nombre incalculable de fois. Et qu’est-ce qui a changé ? Combien d’âmes innocentes ont été perdues en mer depuis lors ? Revenons au 2 septembre 2015, lorsque vous avez toutes et tous vu l’image de mon neveu, ce bébé de 2 ans gisant sur la plage turque. Qu’avez-vous ressenti en voyant cette image ? Qu’avez-vous dit, qu’avez-vous fait ? Moi, quand j’ai appris que mon neveu s’était noyé, je suis tombée par terre en pleurant et en criant de toutes mes forces parce que je voulais que le monde m’entende ! Pourquoi eux ? Pourquoi maintenant ? Et qui sera le prochain ? Depuis lors, j’ai décidé d’élever la voix et de parler pour toutes celles et ceux qui ne sont pas entendu·e·s. Et surtout pour mon neveu, le garçon de la plage, Alan Kurdi, dont la voix ne se fera plus jamais entendre. S’il vous plaît, ne restez pas silencieux et faites porter votre voix avec la mienne. Nous ne pouvons pas fermer les yeux et tourner le dos aux personnes en quête de protection. Ouvrez votre cœur et accueillez les personnes qui fuient à votre porte.

La politique européenne en matière d’immigration doit changer maintenant. Elle aurait dû changer il y a longtemps déjà. Elle doit offrir des moyens sûrs de fuir. La construction d’un mur n’est pas une solution. Retenir les navires de sauvetage qui sauvent des vies n’est pas une solution. Accuser les gens d’être des passeurs n’est pas une solution. Les personnes souffrent et trouveront toujours un moyen de fuir. Vous avez le pouvoir de décider si elles doivent emprunter des itinéraires dangereux parce qu’il n’y a pas d’autre solution. Agissez en conséquence ! »

Avec cet impardonnable naufrage survenu au large de la Grèce, nous constatons que la mer Méditerranée n’est pas seulement un cimetière. C’est une scène de crime ! Une scène de crimes contre l’humanité où des millions de touristes privilégiés continuent de naviguer librement chaque année. C’est pourquoi nous exigeons la fin immédiate de la violence (systémique) aux frontières. Nous demandons :

  • Que les gouvernements et les institutions grecques et européennes veillent à ce que des enquêtes complètes, approfondies et indépendantes soient menées sur ces événements. Il est temps de faire preuve d’une transparence totale sur ce qui s’est passé et d’obliger les responsables à rendre des comptes. Cela inclut les fonctionnaires qui ont été directement impliqué·e·s dans les événements par la prise de décision, ainsi que les dirigeant·e·s politiques qui ont facilité et perpétué les pratiques hostiles aux frontières extérieures pendant des années. L’accès à la justice pour les victimes et leurs proches doit être garanti.
  • Que le gouvernement grec libère immédiatement les survivants du naufrage de Pylos des installations (semi-)fermées et leur offre un hébergement digne et leur assure tout type de soutien nécessaire, tel que des conseils juridiques indépendants, un soutien psychologique et la possibilité de communiquer avec leur famille et leurs ami·e·s. En outre, nous demandons la libération des neuf hommes arrêtés. Nous condamnons la criminalisation des personnes en déplacement, accusées d’entrées illégales et de morts en mer. Ces accusations visent à exonérer les acteurs étatiques de leurs propres responsabilités.
  • Que tous les États membres européens aux frontières extérieures cessent d’utiliser le temps comme arme en retardant les efforts de sauvetage. En outre, nous exigeons des enquêtes indépendantes et des mesures probantes de la part de la Commission européenne contre les pratiques systématiques de refoulement et de non-assistance en mer et sur terre menées par les États membres européens – comme l’ont largement démontré les organisations et les activistes au cours des dernières années.
  • Que l’Union européenne et ses États membres fournissent des routes sûres et légales vers l’Europe, seule solution pour éviter de nouvelles pertes de vies humaines en mer. La réforme du RAEC, qui érode encore plus le droit d’asile dans l’Union européenne, ne doit pas devenir une loi. En outre, nous demandons la création d’un programme européen de sauvetage dirigé par l’État, programme qui n’a que trop tardé.

Le réseau Migreurop et la tante de Alan Kurdi

« Appel d’air » : un mythe venu de l’extrême-droite

« Le discours sur « l’appel d’air » est un élément connu de la mythologie d’extrême droite. Il consiste à affirmer que les pays qui accueillent le mieux les migrants, ou même les associations qui les sauvent en mer, provoquent instantanément l’arrivée de nouveaux migrants, aggravant donc le problème qu’ils cherchent à résoudre ; il faudrait donc que chaque État organise activement les conditions internes de son inhospitalité et lutte contre les actions humanitaires des citoyens. » (Jérôme Lèbre – « « Appel d’air », attractivité libérale et inhospitalité absolue » Lignes 2019 n°60 pp.15-38)

Le thème de l’appel d’air est abondamment repris par les hommes politiques de droite dans les médias (Eric Ciotti, Bruno Retailleau …), par des sénateurs comme argument à des amendements « durs », par des fonctionnaires exerçant d’importantes responsabilités, par des éditorialistes approximatifs, et … par les piliers du bistrot du coin.

Cet appel d’air est une théorie qui n’a jamais été confirmée par quelque étude sérieuse et scientifique que ce soit. Tous les chercheurs reconnus le disent, l’écrivent et le savent. Et quiconque sait faire preuve d’honnêteté intellectuelle le reconnait volontiers, tel récemmment le député Renaissance Marc Ferraci (Français de l’étranger) dans cette émission Sens Public sur la chaine Public Sénat le 27 mars 2023 :

L’Institut Convergences Migrations (CNRS) qui rassemble 600 chercheurs en sciences sociales issus de plusieurs institutions confirme que l’appel d’air est un « mythe ». L’AME (Aide médicale d’Etat) est réguièrement pointée par la droite et l’extrême droite comme un exemple de « welfare magnet » [« l’effet aimant » des bénéfices sociaux]. Mais l’ICM relate une enquête de l’IRDES montrant que 51 % des personnes qui auraient droit à l’AME ne la demandent pas et n’y ont pas recours. (DE Facto n°31). Si l’AME avait un effet réel d’appel d’air, comme le disait par exemple le sénateur Alain Joyandet le 6 décembre 2018, alors tous les exilés sans-papiers devraient se précipiter dessus pour bénéficier de cet incroyable avantage !

C’est ce que confirme une autre étude :

« La qualité de l’accueil pèse en outre peu dans le choix des migrants. Dans un travail publié en 2014, l’économiste Corrado Giulietti (université de Southampton, Royaume-Uni) montre ainsi que la générosité de l’Etat-providence n’est pas un facteur-clé de départ : le « welfare magnet » [« l’effet aimant » des bénéfices sociaux] est « faible ou inexistant ». » (Ariane Chemin – Le Monde – 11 janvier 2023)

Selon les tenants de la théorie de l’appel d’air, il faudrait, pour se prémunir des « vagues » ou des « submersions » migratoires (quand ce ne sont pas des tsunamis) (1), dégrader les conditions de l’accueil des migrants, de façon à les dissuader de venir en France. Soyons attractifs pour les capitaux, mais pas pour les humains …

Mais la France est-elle si attractive pour les migrants que semblent le dire les sycophantes de l’appel d’air ? La France, on le sait, n’a pas « pris sa part » (= une part qui correspondrait à ses capacités en termes de PIB et de population, comparativement aux pays de l’UE) dans l’accueil des réfugiés de Syrie, d’Afghanistan, d’Irak, et même d’Ukraine (2).

« Si la France était aussi attractive qu’on le prétend, elle aurait dû être assaillie de demandes de protection dans une proportion très supérieure et se retrouver ainsi aux tout premiers rangs de l’accueil européen. Il n’en a rien été.
L’argument de l’attrait excessif exercé par la France sur les demandeurs d’asile était conforme à la logique du déni d’immigration : grossir l’afflux des demandes pour pouvoir mieux justifier son rejet. »
(François Héran, Immigration : Le Grand déni – Seuil 2023, p 46)

François Héran rappelle ensuite que la déclaration d’Angela Merkel du 31 août 2015 « Wir schaffen das » (nous y arriverons) ne va pas accélérer le mouvement d’arrivée des demandeurs de refuge mais seulement l’accompagner, et le légitimer.

Enfin d’autres études ont montré qu’à l’inverse des fermetures ou des militarisations de frontières, « plutôt que de réduire l’immigration irrégulière, avait eu l’effet contraire de l’augmenter, transformant une mobilité circulaire (…) en une population sédentaire (….) » (3)

Selon Cris Beauchemin (directeur de recherche à l’INED), la fermeté des politiques migratoires engendre même un effet paradoxal : les études internationales démontrent que les pays d’accueil qui multiplient les obstacles à l’immigration incitent les migrants déjà présents sur le territoire à s’installer durablement. « Quand les visas sont difficiles, voire impossibles à obtenir, les étrangers risquent, s’ils retournent au pays, de ne plus pouvoir revenir. Ils renoncent donc à leurs allées et venues – et, parfois, font venir leurs familles. » Les élus qui redoutent le fameux « appel d’air » ignorent sans doute tout de ce phénomène d’enracinement. (Ariane Chemin – Le Monde – 11 janvier 2023)

La théorie de l’appel d’air est une « croyance ». C’est une croyance irrationnelle, infondée. Comme certains croient aux fantômes ou à un complot des Illuminati. Ou à la Terre plate. IL est juste dramatique et épuisant de voir que des personnes politiques, censées être capables d’exercer des responsabilités publiques, voter des lois, orienter des politiques, prendre des décisions, puissent le faire en étant à ce point aveuglées sur les idées fausses qui les dirigent.

Vincent Cabanel

Assemblée Générale de P.O.U.R. – sam.22 avril 2023

L’association Piémont Oloronais Urgence Réfugiés (P.O.U.R.) a tenu son Assemblée Générale annuelle ce samedi 22 avril. Cette association est membre du CRDE.

Le quotidien « La République des Pyrénées » s’est fait l’écho de cette Assemblée générale, tenue en présence du maire de Oloron-Sainte-Marie, M.Bertrand Uthurry, et du députée de la 4e circonscription, M. Iñaki Echaniz.

M. Darmanin joue avec le feu à Mayotte : opération Wuambushu

Wuambushu signifie « reprise » en mahorais.

Le ministre de l’intérieur Darmanin lance une vaste opération policière à partir de lundi 25 avril 2023 qui vise à renvoyer vers les Comores 10 000 personnes en deux mois. De nombreuses forces de police ont été envoyées sur l’île. Cette opération vise selon M. Darmanin à expulser les délinquant et migrants illégaux. Mais cette opération va avoir des conséquences vraisemblablement dramatiques :

Ainsi cet article de RFI relaie cette situation emblématique :

Certaines familles en particulier vivent déjà dans l’angoisse d’être séparées, écrit notre correspondante (RFI) à Mayotte, Lola Fourmy. Les enfants, en situation régulière, pourraient se retrouver sans l’un de leurs parents arrachés à une vie construite depuis des années sur l’île aux parfums. C’est le cas de Kiyara, 16 ans, une lycéenne de Mamoudzou. C’est une jeune fille brillante, impliquée dans la vie de son lycée et déterminée à devenir avocate. Elle est arrivée des Comores avec ses parents à l’âge de 7 ans. Mais cette année, l’Aïd n’aura pas la même saveur : « On est tous tristes au point qu’on ne va pas fêter l’Aïd normalement parce que tellement cette opération est inquiétante ».

Face à l’opération Wuambushu, elle craint pour ses camarades en situation irrégulière, mais surtout pour son père. Il est désormais clandestin, car les délais d’instruction des demandes sont très longs à Mayotte : « Je suis très inquiète pour lui car je ne sais pas où il sera, est-ce qu’il sera dans un endroit sécurisé ? Est-ce qu’il ne craint pas de se faire tuer parce que, en plus de craindre la police, il y a aussi la violence sachant aussi que la situation à Mayotte n’est pas facile. Qu’est-ce qu’on va faire s’il n’est pas là ? Qu’est-ce qu’on va manger ? Qu’est-ce qu’on va devenir ? Il y a tout un tas de questions que je me pose. »

Au-delà de la peur pour ses proches, Kiyara souffre aussi des clichés sur sa communauté et aimerait changer l’image des immigrés : « Je veux montrer aussi au monde entier les enfants d’immigrés et les immigrés peuvent aussi réussir dans la vie et sûrement aussi développer l’île pour faire des choses bien. »

Comme Kyara, des milliers d’enfants et d’adolescents se retrouveront peut-être séparés de leurs parents par l’opération Wuambushu, validée par le président français Emmanuel Macron en conseil de défense, et qui devrait durer au moins deux mois, selon les informations obtenues par l’AFP de source proche. 
(Source RFI)

Le terrain de jeu expérimental du ministre

Darmanin semble être le seul ministre à se rendre régulièrement à Mayotte dans le 101e département français. Pourtant ce département est le plus pauvre de France, le plus mal équipé en services publics, le plus déshérité (84 % des habitants vivent en dessous du seuil de pauvreté). La pauvreté ne serait-elle justiciable que d’un traitement policier ? A quand la visite d’un ministre de la Santé ou d’un ministre de l’Education à Mayotte ?

En août 2022, dernièrement, 20minutes écrivait :

Gérald Darmanin est à Mayotte pour parler lutte contre l’immigration clandestine, principalement en provenance des Comores voisines. Le ministre de l’Intérieur et des Outre-Mer a ainsi appelé dimanche, à Dzaoudzi, à « lutter contre l’attractivité sociale et administrative » de l’île.

A l’époque Darmanin voulait durcir l’attribution de la nationalité française aux enfants nés à Mayotte.

Effectivement la situation particulière de Mayotte fait que l’immigration venant des Comores y est extrêmement importante : sans doute au moins une dizaine de milliers de personnes par an. Selon l’Insee, près de la moitié de la population de Mayotte ne possède pas la nationalité française, mais un tiers des étrangers sont nés sur l’île. Mayotte compte une population de 310 000 habitants (estimation de 2020).
Mayotte a beau être le département français le plus pauvre, il reste un horizon positif pour les Comoriens des 3 autres îles.
Mayotte est aussi le département le plus jeune de France : plus de la moitié de la population a moins de 17 ans.

Le projet de Wuambushu est d’expulser 10.000 personnes. Supposons que M. Darmanin arrive à ses fins :

  • Le premier écueil est que les expulsés de Mayotte y reviennent sans problème : l’île de Mayotte n’est distante de celle d’Anjouan que de 70 km qui se franchissent régulièrement avec la noria des kwassa-kwassa
  • Le deuxième écueil est que 10.000 personnes sont une goutte d’eau quand on les compare aux 150.000 étrangers dont une grande majorité sont en situation irrégulière : autant dire un coup d’épée dans l’eau.

Pourtant pour arriver à ce résultat incertain , inefficace, insuffisant à résoudre les problèmes de fond, Gerald Darmanin est prêt à déclencher une guerre civile dans les bidonvilles de Mayotte.
L’immigration illégale n’est pas la seule responsable du sous-équipement de Mayotte et de la pauvreté qui y règne. Ni de la délinquance, ni des bidonvilles. La misère engendre de la délinquance, nous le savons au moins depuis Victor Hugo.
Gerald Darmanin prétend traiter un vrai problème (la situation sociale dramatique de Mayotte) avec des œillères et des mauvaises solutions.

Un bref rappel sur la suite d’événements qui nous conduisent aujourd’hui à cette situation

La départementalisation de Mayotte est loin de s’être faite dans des conditions optimales :

  • La rivalité entre les 4 îles des Comores a été vive aux XVIIè et XVIIIè siècles (les « sultans batailleurs ».
  • Mayotte a été vendue à la France par son sultan en 1841, alors que les autres îles sont indépendantes
  • La France établit un protectorat sur l’ensemble des Comores en 1886
  • La consultation de 1975 donne un résultat globalement très favorable à l’indépendance (95 %). Mais le résultat doit il être considéré globalement ou île par île ? Grande Comore, Mohéli et Anjouan sont très favorables à l’indépendance ( à plus de 99 %). Seule Mayotte vote à 63 % contre l’indépendance et pour le maintien du lien avec la France.
  • L’interprétation du résultat de la consultation (qui n’est pas un référendum !) devient donc une pomme de discorde. Les Comores refusent l’interprétation française et réclament la restitution de Mayotte à la République des Comores.
  • En 2009, sous le président Sarkozy, malgré une résolution de l’ONU et l’opposition de l’Union Africaine), un référendum est soumis aux mahorais, qui approuvent à 95 % (participation : 61 %) la transformation de Mayotte en une collectivité unique d’outre-mer (département et région – article 73 de la Constitution)

D’autre solutions

Puisque Mayotte est un département français, il faut le traiter avec tous les droits et égards dus à une parcelle du territoire de la France : investissements, équipements, services publics, … il faut mettre de l’argent et des moyens humains à Mayotte. Il faut sortir de tout ce qui ressemble à une gestion coloniale de Mayotte.

Il faut aussi d’urgence traiter le problème dans sa dimension géopolitique, dans une relation constructive et apaisée avec les Comores : cela ne sera pas forcément facile. Les Comores considèrent toujours que Mayotte leur appartient et relève de leur souveraineté. L’ONU soutient les Comores et considère que la France occupe illégalement Mayotte.

Il faut aussi partager le fardeau : proposer à celles et ceux qui le voudraient de pouvoir gagner la métropole. Répartir le poids de l’immigration si celui-ci s’avère trop lourd pour l’île (ce qui n’est pas certain, tant il n’y a pas de césure culturelle infranchissable entre comoriens des trois autres îles et mahorais)

Pour finir

On peut avoir le sentiment qu’en envisageant seulement une gestion policière de la situation problématique de Mayotte, l’Etat, en la personne de MM. Macron et Darmanin, ne fait rien d‘autre que de proroger une gestion colonialiste de l’île.

Mais de façon plus inquiétante, on peut se demander si cette opération ne pourrait pas aussi constituer aussi une sorte de « banc d’essai » pour une politique musclée de l’expulsion des étrangers en situation irrégulière. Après Wuambushu, verrons nous semblable opération en Guyane, puis un jour en métropole ?

Vincent Cabanel

Refoulement illégal des mineurs isolés à Menton

La Convention internationale des Droits de l’Enfant, dont la France est signataire, interdit aux Etats de refouler à leurs frontières ou d’expulser de leur territoire les mineurs étrangers isolés : ces jeunes sont des enfants AVANT d’être des étrangers.

La France a des pratiques illégales, contraires au droit international, contraire à ses engagements : notamment à la frontière italienne, comme le signale le communiqué inter-associatif ci-après.

Mais l’opération Wuambushu que le ministre Darmanin diligente à Mayotte va produire également l’expulsion illégale de très nombreux mineurs isolés.


LES MINEURS ISOLÉS DOIVENT ÊTRE PROTÉGÉS, PAS REFOULÉS !

21 avril 2023

Communiqué de presse inter-associatif

Depuis le 17 avril, l’Anafé, Médecins du Monde, Amnesty International France, La Cimade et Médecins sans Frontières suivent avec attention la situation à la frontière franco-italienne entre Vintimille et Menton, et notamment en ce qui concerne la protection des mineurs isolés.

Au moins une cinquantaine d’entre eux ont rejoint un gymnase à Menton en fin de matinée le 19 avril dans l’attente d’une prise en charge par le département. Avant d’y être transférés, ces mineurs avaient été enfermés (de quelques heures à 2 jours) dans des locaux privatifs de liberté attenants au poste de la police aux frontières de Menton pont Saint-Louis. Cet enfermement est contraire à la Convention internationale des droits de l’enfant. Nous avons été informés qu’au moins 5 mineurs ont été refoulés vers l’Italie jeudi matin en toute illégalité car ils auraient dû être protégés par l’Aide sociale à l’enfance. Nos associations demandent aux autorités de respecter la Convention internationale des droits de l’enfant, dont la France est signataire, et d’appliquer les procédures prévues dans l’accueil provisoire d’urgence.

Les mineurs isolés doivent être admis systématiquement et sans délai sur le territoire français. Les autorités compétentes à la frontière doivent donc prendre toutes les mesures et garanties spécifiques pour assurer l’effectivité de leurs droits, leur protection, en particulier la conduite d’un entretien individuel, la notification des droits dans une langue comprise par l’enfant, la désignation sans délai d’un administrateur ad hoc et la possibilité de formuler une demande d’asile.

Nous rappelons que ces mineurs sont des enfants en danger qu’il faut protéger.

Signataires : Amnesty International France, Anafé, La Cimade, Médecins du Monde, Médecins sans frontières

Tous les jours, des dizaines de personnes exilées sont interpellées, privées illégalement de liberté et refoulées à Menton. Parmi elles se trouvent des mineurs isolés, mais également des familles et des demandeurs d’asile. Nos organisations dénoncent des procédures expéditives, qui ne respectent pas les droits de ces personnes, notamment le droit de demander l’asile, d’avoir accès à un interprète, à un avocat et à un médecin. Ces personnes sont enfermées avant d’être refoulées sans examen de leurs situations individuelles – ce qui est illégal. D’après les chiffres transmis par les autorités, 30 146 personnes ont ainsi été refoulées à Menton pont Saint-Louis suite à un refus d’entrée en 2021, parmi lesquelles 1 108 mineurs isolés.

voir aussi cet article de Politis (2018) sur la situation à Menton, à la frontière (la photo de tête est extraite de cet article)

Immigrés et descendants d’immigrés en France : la « Bible » des chiffres de l’INSEE

L’INSEE a fait paraître en mars dans la collection Insee Références un important volume de données statistiques et d’analyse sur l’immigration en France. Ce volume de 198 pages n’est forcément aisé à lire directement, d’autant plus que si le téléchargement est gratuit, il reste à imprimer le document …

Fort heureusement les statisticiens de l’INSEE sont aussi des pédagogues : on peut ainsi télécharger un livret de 15 pages qui délivre les principaux résultats sous forme d’infographies

Surtout, à partir de cette même page de l’INSEE on peut accéder directement à telle partie du gros volume selon ses intérêts :

Les 5 angles d’attaque des premiers dossiers sont les suivants :

Mais pour qui veut aller plus avant dans le détail, on pourra aller examiner aussi :

  • 10 fiches pour mieux connaitre la Population issue de l’immigration
  • 7 fiches sur les Flux d’immigration et les trajectoires migratoires
  • 4 fiches sur l’Education et la Maîtrise de la Langue
  • 5 fiches sur la Situation sur le Marché du Travail
  • 7 fiches sur les Conditions de Vie
  • 6 fiches sur la Vie sociale
  • ainsi qu’un grand nombre d’annexes

Voilà ! à chacun de jouer pour s’informer, éviter de répéter des bêtises propagées ci et là, et ne pas tomber dans les erreurs et outrances grossières.

180 personnes contre la Loi Darmanin

Nous étions 180 devant la Préfecture à protester contre la Loi Darmanin à l’appel des 15 associations du CRDE. Nous nous sommes ainsi associés à la cinquantaine de villes qui ont manifesté à la même date contre ce projet de loi, contre son utilitarisme migratoire (nous partageons l’appel du collectif Uni.es contre l’immigration jetable, à l’origine de cette journée)

Un bon moment avec des chants, de la musique, des visuels, des flashs sur le projet de loi, en utilisant aussi bien la prise de parole classique que des mini-saynètes (comme l’écrit le journaliste de Sud-Ouest)

Une bonne couverture de la Presse locale (Sud Ouest, La République des Pyrénées et France 3 Aquitaine). Des élus des municipalités de l’agglo, des membres de syndicats et de partis politiques de gauche avaient répondu présents, et des membres du réseau RESF. Merci à tous les participants !

La République des Pyrénées
27 mars 2023
Sud Ouest
27 mars 2023

France 3 Aquitaine
25 mars 2023
à partir de 1:00

France 3 Aquitaine se fait aussi l’écho dans cette édition des rassemblements de Bordeaux et de Bayonne

Nous avions opté pour des prises de parole pédagogiques, militantes sur un registre d’éducation populaire : le projet de loi est complexe, et nous avons voulu l’éclairer par 9 flashs jetés sur des points précis. Les voici :

Malgré le report du texte et son « saucissonage » annoncé par le président de la République le 22 mars dernier, nous faisons nôtre cet appel des associations nationales en restant vigilant pour refuser le projet Darmanin et les mesures qu’il porte.

Le Sénat s’attaque à l’A.M.E.

Le texte de la loi Immigration Asile est passé en commission des lois du Sénat le 15 mars 2023 et a été durci considérablement. Un des amendements retenus proposé par Mme Françoise Bourdin (LR) concerne la suppression de l’Aide Médicale d’Etat et son remplacement par une Aide Médicale d’Urgence (AMU) très restrictive.

Qu’est-ce que l’Aide Médicale d’Etat ? Ce dispositif est destiné aux étrangers présents illégalement en France depuis au moins 3 mois et qui ne dépassent pas un plafond de ressources (9 571€ par an pour une personne seule et 14 537€ pour un couple). Il faut fournir des justificatifs d’identité et de résidence pour ouvrir les droits. Cette aide ouvre le droit à la prise en charge à 100% de certains soins, dans la limite des tarifs de la Sécurité Sociale. Enfin, certains soins considérés comme non-urgents sont pris en charge au bout d’un délai de 9 mois après l’admission à l’AME. Les principaux motifs de soins sont les accouchements, la tuberculose et le VIH, selon un rapport d’information parlementaire de 2015, cité par le défenseur des droits.

L’amendement voté établit le paiement d’un droit de timbre pour accéder aux soins. Le remplacement par une Aide Médicale d’Urgence prévoit uniquement le traitement des maladies les plus graves et des douleurs aiguës, les soins liés à la grossesse et ses suites, les vaccinations réglementaires et les examens de médecine préventive.

Cet amendement très restrictif a été retenu au prétexte que l’AME créerait un « appel d’air migratoire ». Dès 2019, le défenseur des droits qualifiait cet argument « d’idée fausse ». Selon une enquête menée par des chercheurs, 10% des personnes interrogées et éligibles à cette aide citaient la santé comme raison de leur venue en France, les principales raisons de la venue en France étant, pour 47% des personnes, économiques et sociales. Les chercheurs ont également observé que moins d’un homme éligible sur 2 (47%) et 60% des femmes en bénéficient, selon cette même source.

Donc, nous le répétons, l’Aide Médicale d’Etat ne crée pas un appel d’air migratoire ! C’est pourtant ce qu’avancent certains qui se félicitent du vote d’un amendement remplaçant l’AME par une AMU qui offre une couverture de soins beaucoup moins complète et, de plus, accessible après le paiement d’un droit de timbre.

Supprimer l’AME pose un problème de santé publique. Et déjà l’instauration d’un délai de carence de 3 mois avait été dénoncé par Médecins du Monde et de nombreuses associations.

Il n’est même pas sûr que l’argument économique soit pertinent : l’AME coûte 1, 2 milliards d’euros par an. cela n’est rien rapporté au budget de la Santé dont le total s’élève à 244 millirads d’euros. L’AME représente 0,5 % du total. Autant dire : l’épaisseur du trait. Mais plus encore : si l’on ne soigne pas certains patients dès le début de leurs problèmes (qu’il faut détecter), on va retrouver ces mêmes patients plus tard avec des pathologies qui auront évolué, se seront aggravées, nécessitant alors des soins plus coûteux que si ces pathologies avaient été prises en charge plus tôt. In fine, la suppression de l’AME pourrait donc coûter plus cher que son maintien.

Dès lors pourquoi cet amendement inutile et contreproductif ? Eh bien nous dit Philippe Moreau-Chevrolet, spécialiste en communication politique, dans cette récente émission de France Info (à partir de 8 mn 46 sec), parce que « c’est un marqueur identitaire pour la droite dans sa compétition avec l’extrême droite et le RN. C’est une mesure purement discriminatoire et vexatoire, dont le sens est d’affirmer une certaine ‘préférence nationale’, de dire ‘ on est capable nous aussi de ne pas être sympa avec les étrangers’. Il s’agit d’une reprise de la rhétorique du RN par la droite LR. »

La position du CRDE est claire : Non à la fragilisation et à la restriction des droits à la santé des personnes exilées ! Non à l’abandon de l’Aide Médicale d’Etat !

Agnès Touya

Le projet de loi Darmanin (1/3)

Le projet de loi Darmanin qui va être examiné au Sénat à partir du 28 mars 2023 porte un nom balancé : « Contrôler l’immigration, améliorer l’intégration ».

Deux axes donc, énoncés dès le titre. Le premier axe nous inquiète, car il correspond à la dimension sécuritaire qui régit la politique migratoire de tous les gouvernements depuis des lustres. Le deuxième nous intéresse davantage, nous, associations, bénévoles et militants, qui savons combien le parcours d’arrivée en France est un parcours du combattant pour les étrangers non-communautaires.

L’examen du plan du projet ne nous rassure pas : le projet comporte 27 articles répartis en 5 titres. Seul le premier titre (8 articles, 8 pages) correspond à l’axe « Améliorer d’intégration ». Les quatre autres titres (19 articles, 29 pages), soit la plus grosse partie du texte, répondent tous à des préoccupations sécuritaires, administratives et policières :

  • Améliorer le dispositif d’éloignement des étrangers représentants une menace pour l’ordre public
  • Sanctionner l’exploitation des migrants et contrôler les frontières
  • Engager une réforme structurelle du droit d’asile
  • Simplifier les règles du contentieux étranger

Il ne faut pas s’y laisser tromper : derrière les mots positifs en apparence (améliorer, réformer, simplifier, … ), se cachent à peine des atteintes aux droits fondamentaux, aux libertés publiques, aux droits des étrangers, au droit d’asile, aux principes d’accueil, d’hospitalité et de fraternité.

Nous reviendrons très vite dans un autre article de ce site sur les mesures répressives de ce texte contenues dans ces 4 titres. Examinons d’abord les mesures potentiellement « positives » de ce projet de loi.

Voici quels sont les articles du titre I. :

Titre I : Assurer une meilleure intégration des étrangers par le travail et la langue
Chapitre 1 : Mieux intégrer par la langue
Article 1 : Conditionner la carte pluriannuelle a la maitrise minimale de la langue française
Article 2 : Mettre à la charge de l’employeur une obligation de formation à la langue française
Chapitre 2 : Favoriser le travail comme facteur d’intégration
Article 3 : Créer une carte de séjour temporaire mention « travail dans des métiers en tension »
Article 4 : Accélérer l’accès au marché du travail des demandeurs d’asile ressortissant de pays bénéficiant d’un taux de protection internationale élevé
Article 5 : Conditionner le statut d’auto-entrepreneur à la preuve de la régularité du séjour
Article 6 : Réformer les passeports « talent »
Article 7 : Création d’une carte de séjour « talent-professions médicales et de la pharmacie « 
Chapitre 3 : Mieux protéger les étrangers contre les employeurs abusifs
Article 8 : Prévoir une amende administrative sanctionnant les employeurs d’étrangers ne détenant pas un titre les autorisant à travailler

Mieux intégrer par la langue (article 1 et 2)

Souci louable . Effectivement parler le français est un des facteurs essentiels de l’intégration. Mais cela est soumis à une temporalité. Un étranger apprend le français au cours de ses années d’intégration dans le pays

« Si la langue est un capital qui favorise l’insertion professionnelle, la plupart des immigrés apprennent la langue en travaillant.  » [1]

Dès lors subordonner l’octroi d’une carte pluriannuelle à une maîtrise minimale de la langue, qui, de surcroît, n’est pas défini par la loi, mais serait définie par un décret ultérieur, c’est mettre la charrue avant les bœufs , comme l’écrit F. Héran. [2]

On en vient à confondre les plans :  autant il est compréhensible de demander un niveau minimal de français pour la naturalisation, autant il est stupide de le faire pour le séjour : on transforme l’objectif (pouvoir parler et comprendre le français), en préalable, en prérequis. L’objectif est un résultat de l’intégration, pas son point de départ.

Une carte de séjour pluriannuelle c’est pour un immigré une sécurité. Pour la France, la carte pluriannuelle de séjour est un facteur qui favorise l’intégration.

Nous ne pensons pas qu’il faille restreindre encore l’octroi de ces cartes pluriannuelles . Au contraire nous plaidons pour un octroi plus facile, qui permette à la personne allophone de se concentrer sereinement sur son intégration (cours de langue, travail), au lieu d’avoir une épée de Damoclès administrative anxiogène au-dessus de la tête.

Notre expérience de terrain nous montre à l’envi que c’est de moyens de terrain qu’il y a besoin pour développer les cours de langue. Des règles contraignantes n’apporteront rien de plus.

Favoriser le travail comme facteur d’intégration

Une nouvelle carte de séjour pour les métiers en tension (article 3)

La création de cette carte a été annoncée dans une interview surprise accordée le 2 novembre 2022 au quotidien Le Monde par les deux ministres du Travail et de l’Intérieur (Olivier Dussopt et Gérald Darmanin)

A peine cette nouvelle annoncée, « la droite, fidèle à elle-même, hurla aussitôt à la ‘régularisation massive’, brandissant l’argument rituel de ‘l’appel d’air’, que ne manquerait pas de susciter ce nouveau titre de séjour »[3]. Olivier Dussopt rétropédala, et il semble bien que nous soyons en face d’un double discours : vers la gauche : « Voyez comme nous sommes accueillants » (ouverture, flou vers le haut quant au nombre de personnes concernées), vers la droite : « ça concernera très peu de monde » [4] (fermeture, restrictions, flou vers la baisse quant au nombre).

Le projet de loi prévoit la création, à titre expérimental, d’une carte de séjour temporaire mention « travail dans les métiers en tension »[5]

Les conditions d’accessibilité à cette carte sont :

  • Justifier d’au moins 3 ans de présence en France
  • Avoir au moins 8 mois (consécutifs ou non) d’activité professionnelle salariée au cours des 24 derniers mois
  • Dans un des métiers en tension listés par arrêté conjoint des ministres Intérieur et Travail
  • Et dans une zone géographique caractérisée par des difficultés de recrutement (liste administrative)

Nous citons ici la position de la Cimade :

La Cimade regrette en premier lieu que la mesure soit réduite aux seuls métiers considérés comme en tension. La liste des métiers en tension peine à coller aux réa­lités du terrain, parce qu’elle est établie sur la base de données incomplètes (seules les offres publiées via Pôle Emploi étant prises en compte) et parce que l’emploi de personnes sans-papiers comble de nombreux besoins de main d’œuvre. Ainsi, la plupart des secteurs qui embauchent massivement les personnes sans-papiers sont à ce jour presque absents de la liste des métiers en tension (bâtiment, restauration, ménage, aides à la personne…). (…)

Ainsi, l’approche « métiers en tension » perpétue une vision utilitariste de la main d’œuvre étrangère, perçue comme une variable d’ajustement face aux pénuries de main d’œuvre, tout en étant en décalage avec les réalités de terrain.

La Cimade déplore également la nécessaire justification de l’exercice d’une activité professionnelle (…) La logique absurde de la circulaire « Valls »[6], consistant à justifier d’une situation de travail illégal pour être régularisé·e, est sanctuarisée.

Dessin extrait du livret La Cimade : « Refuser la fabrique des sans-papiers »

La Cimade regrette également les restrictions apportées par l’exigence d’ancienneté de présence en France, peu pertinente au regard de l’enjeu de la mesure, et par l’exclusion des périodes d’activité professionnelles exercées sous certains statuts, pourtant réguliers.

Enfin et surtout, La Cimade regrette que le projet de loi ne comporte aucune autre mesure visant à favoriser l’accès à un titre de séjour.

L’accès au travail des demandeurs d’asile (article 4)

Depuis 2018 et la loi Collomb, les demandeurs d’asile n’ont pas le droit de travailler avant 6 mois de présence en France. Les « Dublinés » n’y ont pas droit du tout. Et encore cette possibilité n’existent qu’après autorisation administrative (elle n’est pas de plein droit).

Cette situation est bien sûr aberrante : on condamne ainsi des personnes à l’inactivité, à l’impossibilité d’accéder à des revenus autres que l’Aide aux Demandeurs d’Asile (ADA). Nous sommes témoins de l’envie de travailler, d’être actifs, utiles, qui habitent les demandeurs d’asile, à l’instar de tout être humain. La suspicion dont ils sont l’objet (« des paresseux qui voudraient profiter de l’ADA » ….) ne correspond en rien à la réalité (p.m. : l’ADA est de 200 euros par mois pour 1 personne seule si cette personne est logée en CADA ; comment voulez vous manger, acheter une carte de bus, une carte téléphonique, des vêtements, pourvoir à vos autres besoins … avec 200 euros par mois ?)

Le projet de loi Darmanin se propose de revenir très partiellement sur cette restriction . Certains demandeurs d’asile de certains pays (là encore une restriction : pays figurant sur une liste déterminée par l’autorité administrative, le critère étant le taux de protection accordé par la France pour les ressortissants de ces pays : dépassement d’un seuil fixé par décret) pourront travailler dès le dépôt de leur demande sans attendre les 6 mois et sans autorisation spécifique.  C’est une bonne chose, mais pourquoi ne pas l’étendre à tous les demandeurs d’asile ?

Il paraitrait raisonnable et nécessaire de permettre à tous les demandeurs d’asile de pouvoir travailler dès l’enregistrement de leur demande, à l’instar de ce qui a été fait pour les Ukrainiens (relevant du dispositif de protection temporaire) .

La position de la Cimade est claire :

En conformité avec les dispositions de la directive européenne sur l’accueil, La Cimade demande que l’ensemble des demandeurs d’asile aient accès au marché du travail dès l’enregistrement de leur demande et soient autorisés automatiquement à travailler.

Les mesures d’intégration de ce projet de loi ne sont pas à la hauteur

Sur l’apprentissage de la langue : ce n’est pas une mesure positive c’est une règle contraignante de plus. Règle contre-productive de surcroît qui n’aidera pas à l’intégration.

La carte de séjour « métier en tension » : beaucoup de flou sur la mesure, sur sa mise en œuvre, sur sa portée. Trop de restrictions et de conditions contraignantes. La mesure ne permet pas de sortir de l’aberration actuelle : il faut prouver avoir travaillé illégalement pour obtenir une carte de séjour légalisant votre travail !

Le travail ouvert aux demandeurs d’asile sans attendre 6 mois : c’est une bonne chose, mais c’est une demi-mesure si elle ne concerne pas tous les demandeurs d’asile.

Bref sur ces trois points qui sont censés traduire la volonté d’intégration du gouvernement, le bilan est très maigre. Beaucoup trop maigre.

Le gouvernement a préparé ce projet de loi seul, à partir de ses seules priorités, sans tenir vraiment compte de l’expertise des associations de solidarité avec les migrant.es, les réfugié.es, les exilé.es., sans élaborer le projet avec les acteurs de terrain. Le résultat est un projet extrêmement insuffisant et décevant dans la partie censée contenir les mesures « sucrées »

Vincent Cabanel

Retrouvez ICI notre dossier de travail sur ce projet de loi


[1] « Immigration, le grand déni » – François Héran, Le Seuil, collection La République des Idées, Paris 2023 – p.89

[2] Idem, p. 88

[3] Idem, p. 116

[4] Le ministre du Travail a dit sur France Info (3 novembre 2022) que cela toucherait tout au lus « quelques dizaines de milliers de personnes ». Puis, dans le Figaro, il a réduit encore la portée à « quelques milliers de personnes ». (Héran p 117)  Mais on sait que le même ministre a eu récemment des imprécisions fortes quant à certaines données chiffrées, dans un autre débat législatif…

[5] Pour la fin de ce paragraphe, nous citons presque  mot pour mot le « décryptage du projet de loi asile et immigration » réalisé par la Cimade en mars 2023

[6] La circulaire Valls est une circulaire du Premier ministre en date du 28 novembre 2012. C’est jusqu’à présent le seul texte qui donnait un cadre pour l’admission exceptionnelle au séjour des étrangers en situation irrégulière. Ces A.E.S. (admissions exceptionnelles au séjour) ressortent au pouvoir discrétionnaire (donc arbitraire) des préfets.