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Plus de 600 morts : le naufrage de Pylos est le plus meurtrier depuis 2016

Le 8 juin 2023 : le Conseil de l’UE parvient à un accord sur le Pacte européen Immigration-Asile : ce Pacte risque d’éroder le droit d’asile, sous couvert d’harmonisation européenne.

Le 14 juin 2023 : Un bateau de pêche surchargé, avec à son bord 750 personnes exilées en quête de refuge a subi un naufrage au large de Pylos (Sud-Ouest de la Grèce). Seuls 104 personnes ont été sauvées, ce qui laisse un bilan de 600 morts au moins.

Voici la lettre ouverte co-signée par le réseau Migreurop dont la Cimade est membre, aux côtés de plus de 180 organisations et initiatives de défense des droits humains, ainsi que de Tima Kurdi, tante d’Alan Kurdi.

« La mer Méditerranée n’est pas seulement un cimetière,
c’est une scène de crime »

Aujourd’hui, à l’occasion de la Journée mondiale des réfugié·e·s, nous nous rassemblons pour exiger des enquêtes complètes et indépendantes sur ces événements, la prise de mesures à l’encontre des responsables, la fin des pratiques systématiques de refoulement aux frontières européennes et que justice soit rendue pour les victimes.

10 ans après les deux naufrages au large de Lampedusa, en Italie, qui ont fait environ 600 morts et provoqué un immense tollé, près de 600 personnes se sont noyées au large de Pylos, en Grèce, dans la mer Méditerranée. Le 14 juin 2023, une fois de plus, le régime européen des frontières a tué des personnes qui exerçaient leur droit à rechercher une protection. Nous sommes bouleversé·e·s ! Nous sommes solidaires avec tout·e·s les survivant·e·s, les familles et ami·e·s des personnes décédées. Nous exprimons nos profondes condoléances et notre chagrin.

Jusqu’à présent, d’innombrables questions restent sans réponse. Selon les témoignages des survivant·e·s, les garde-côtes helléniques ont remorqué le bateau et l’ont fait chavirer. Pourquoi cette manœuvre terriblement dangereuse a-t-elle été tentée ? Les garde-côtes helléniques ont-ils remorqué le bateau vers l’Italie pour emmener les personnes dans une zone censée être sous la responsabilité de l’Italie ou de Malte ? Pourquoi ni les garde-côtes grecs ni les autorités italiennes ou maltaises ne sont-ils intervenus plus tôt, alors qu’ils avaient été alertés au moins 12 heures auparavant ? Quel rôle a joué l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes Frontex ?

Au milieu de toutes ces incertitudes, une chose ne fait aucun doute  : ce naufrage – comme d’innombrables autres avant lui – est la conséquence directe de décisions politiques prises pour empêcher les gens d’arriver en Europe. Ce naufrage résulte de l’impunité dont bénéficient les États dans la mise en œuvre d’activités illégales aux frontières et de la légalisation de pratiques visant à normaliser la privation de droits des personnes en déplacement. Des militant·e·s et des organisations ont dénoncé les refoulements systématiques, les retards et les omissions de sauvetage, la criminalisation des opérations civiles de recherche et de sauvetage, ainsi que la coopération avec des pays qui ne sont pas sûrs pour externaliser les frontières européennes et procéder à des refoulements. Les politiques européennes de migration et d’externalisation sont responsables des violences physiques et psychologiques subies par les personnes migrantes, leur enfermement et leur mort. Arrêtez de vous détourner de votre responsabilité – Arrêtez de tuer les personnes migrantes !

Jusqu’à présent, l’Union européenne et ses États membres n’ont montré aucune intention de tirer les leçons des années passées et de mettre un terme aux morts en Méditerranée. Au contraire, ils renforcent leur politique mortelle d’isolement. Pas plus tard que la semaine dernière, le 8 juin, le Conseil de l’Union européenne a approuvé une réforme du régime d’asile européen commun (RAEC) qui a entraîné une privation massive des droits fondamentaux, tels que le droit d’asile ou le droit de circuler librement.

Alors que les conditions dans les pays d’origine, de transit et de départ, se détériorent et que les pratiques frontalières obligent les personnes en migration à emprunter des itinéraires de plus en plus dangereux, ce n’était qu’une question de temps avant que le prochain naufrage ne se produise. Et il y en aura d’autres ! Depuis les naufrages de Lampedusa en 2013, au moins 27 047 personnes ont perdu la vie en mer Méditerranée. L’une d’entre elle était Alan Kurdi. Sa tante, Tima Kurdi, parle haut et fort de ce naufrage meurtrier :

Ce naufrage ravive ma douleur, notre douleur. J’ai le cœur brisé. J’ai le cœur brisé pour toutes les âmes innocentes perdues qui ne sont pas que des chiffres dans ce monde. En 2015, nous avons entendu le mot « plus jamais ça », je l’ai entendu un nombre incalculable de fois. Et qu’est-ce qui a changé ? Combien d’âmes innocentes ont été perdues en mer depuis lors ? Revenons au 2 septembre 2015, lorsque vous avez toutes et tous vu l’image de mon neveu, ce bébé de 2 ans gisant sur la plage turque. Qu’avez-vous ressenti en voyant cette image ? Qu’avez-vous dit, qu’avez-vous fait ? Moi, quand j’ai appris que mon neveu s’était noyé, je suis tombée par terre en pleurant et en criant de toutes mes forces parce que je voulais que le monde m’entende ! Pourquoi eux ? Pourquoi maintenant ? Et qui sera le prochain ? Depuis lors, j’ai décidé d’élever la voix et de parler pour toutes celles et ceux qui ne sont pas entendu·e·s. Et surtout pour mon neveu, le garçon de la plage, Alan Kurdi, dont la voix ne se fera plus jamais entendre. S’il vous plaît, ne restez pas silencieux et faites porter votre voix avec la mienne. Nous ne pouvons pas fermer les yeux et tourner le dos aux personnes en quête de protection. Ouvrez votre cœur et accueillez les personnes qui fuient à votre porte.

La politique européenne en matière d’immigration doit changer maintenant. Elle aurait dû changer il y a longtemps déjà. Elle doit offrir des moyens sûrs de fuir. La construction d’un mur n’est pas une solution. Retenir les navires de sauvetage qui sauvent des vies n’est pas une solution. Accuser les gens d’être des passeurs n’est pas une solution. Les personnes souffrent et trouveront toujours un moyen de fuir. Vous avez le pouvoir de décider si elles doivent emprunter des itinéraires dangereux parce qu’il n’y a pas d’autre solution. Agissez en conséquence ! »

Avec cet impardonnable naufrage survenu au large de la Grèce, nous constatons que la mer Méditerranée n’est pas seulement un cimetière. C’est une scène de crime ! Une scène de crimes contre l’humanité où des millions de touristes privilégiés continuent de naviguer librement chaque année. C’est pourquoi nous exigeons la fin immédiate de la violence (systémique) aux frontières. Nous demandons :

  • Que les gouvernements et les institutions grecques et européennes veillent à ce que des enquêtes complètes, approfondies et indépendantes soient menées sur ces événements. Il est temps de faire preuve d’une transparence totale sur ce qui s’est passé et d’obliger les responsables à rendre des comptes. Cela inclut les fonctionnaires qui ont été directement impliqué·e·s dans les événements par la prise de décision, ainsi que les dirigeant·e·s politiques qui ont facilité et perpétué les pratiques hostiles aux frontières extérieures pendant des années. L’accès à la justice pour les victimes et leurs proches doit être garanti.
  • Que le gouvernement grec libère immédiatement les survivants du naufrage de Pylos des installations (semi-)fermées et leur offre un hébergement digne et leur assure tout type de soutien nécessaire, tel que des conseils juridiques indépendants, un soutien psychologique et la possibilité de communiquer avec leur famille et leurs ami·e·s. En outre, nous demandons la libération des neuf hommes arrêtés. Nous condamnons la criminalisation des personnes en déplacement, accusées d’entrées illégales et de morts en mer. Ces accusations visent à exonérer les acteurs étatiques de leurs propres responsabilités.
  • Que tous les États membres européens aux frontières extérieures cessent d’utiliser le temps comme arme en retardant les efforts de sauvetage. En outre, nous exigeons des enquêtes indépendantes et des mesures probantes de la part de la Commission européenne contre les pratiques systématiques de refoulement et de non-assistance en mer et sur terre menées par les États membres européens – comme l’ont largement démontré les organisations et les activistes au cours des dernières années.
  • Que l’Union européenne et ses États membres fournissent des routes sûres et légales vers l’Europe, seule solution pour éviter de nouvelles pertes de vies humaines en mer. La réforme du RAEC, qui érode encore plus le droit d’asile dans l’Union européenne, ne doit pas devenir une loi. En outre, nous demandons la création d’un programme européen de sauvetage dirigé par l’État, programme qui n’a que trop tardé.

Le réseau Migreurop et la tante de Alan Kurdi

Refoulement illégal des mineurs isolés à Menton

La Convention internationale des Droits de l’Enfant, dont la France est signataire, interdit aux Etats de refouler à leurs frontières ou d’expulser de leur territoire les mineurs étrangers isolés : ces jeunes sont des enfants AVANT d’être des étrangers.

La France a des pratiques illégales, contraires au droit international, contraire à ses engagements : notamment à la frontière italienne, comme le signale le communiqué inter-associatif ci-après.

Mais l’opération Wuambushu que le ministre Darmanin diligente à Mayotte va produire également l’expulsion illégale de très nombreux mineurs isolés.


LES MINEURS ISOLÉS DOIVENT ÊTRE PROTÉGÉS, PAS REFOULÉS !

21 avril 2023

Communiqué de presse inter-associatif

Depuis le 17 avril, l’Anafé, Médecins du Monde, Amnesty International France, La Cimade et Médecins sans Frontières suivent avec attention la situation à la frontière franco-italienne entre Vintimille et Menton, et notamment en ce qui concerne la protection des mineurs isolés.

Au moins une cinquantaine d’entre eux ont rejoint un gymnase à Menton en fin de matinée le 19 avril dans l’attente d’une prise en charge par le département. Avant d’y être transférés, ces mineurs avaient été enfermés (de quelques heures à 2 jours) dans des locaux privatifs de liberté attenants au poste de la police aux frontières de Menton pont Saint-Louis. Cet enfermement est contraire à la Convention internationale des droits de l’enfant. Nous avons été informés qu’au moins 5 mineurs ont été refoulés vers l’Italie jeudi matin en toute illégalité car ils auraient dû être protégés par l’Aide sociale à l’enfance. Nos associations demandent aux autorités de respecter la Convention internationale des droits de l’enfant, dont la France est signataire, et d’appliquer les procédures prévues dans l’accueil provisoire d’urgence.

Les mineurs isolés doivent être admis systématiquement et sans délai sur le territoire français. Les autorités compétentes à la frontière doivent donc prendre toutes les mesures et garanties spécifiques pour assurer l’effectivité de leurs droits, leur protection, en particulier la conduite d’un entretien individuel, la notification des droits dans une langue comprise par l’enfant, la désignation sans délai d’un administrateur ad hoc et la possibilité de formuler une demande d’asile.

Nous rappelons que ces mineurs sont des enfants en danger qu’il faut protéger.

Signataires : Amnesty International France, Anafé, La Cimade, Médecins du Monde, Médecins sans frontières

Tous les jours, des dizaines de personnes exilées sont interpellées, privées illégalement de liberté et refoulées à Menton. Parmi elles se trouvent des mineurs isolés, mais également des familles et des demandeurs d’asile. Nos organisations dénoncent des procédures expéditives, qui ne respectent pas les droits de ces personnes, notamment le droit de demander l’asile, d’avoir accès à un interprète, à un avocat et à un médecin. Ces personnes sont enfermées avant d’être refoulées sans examen de leurs situations individuelles – ce qui est illégal. D’après les chiffres transmis par les autorités, 30 146 personnes ont ainsi été refoulées à Menton pont Saint-Louis suite à un refus d’entrée en 2021, parmi lesquelles 1 108 mineurs isolés.

voir aussi cet article de Politis (2018) sur la situation à Menton, à la frontière (la photo de tête est extraite de cet article)

Comment on devient militant

David Verand est un ostéopathe tranquille et sans histoires, il a une vie sereine, recompose une famille avec sa compagne et ses deux enfants, il habite Montgenèvre non loin de l’Italie, travaille à Briançon, fait de l’escalade avec son copain Vincent, le gendarme, il aime sa région, sa vallée, les montagnes, sa compagne, il est heureux de vivre.

Et puis l’incident, et puis une transgression irréfléchie, réflexe, soudaine : protéger un fugitif de ceux qui le poursuivent. Comme ça, parce qu’il a vu la peur sur un visage et l’effroi du danger, il tend la main, et fait ce que requiert silencieusement ce visage. Il cache le fugitif aux poursuivants, à la maréchaussée. C’est le début d’un chemin de traverse.

« Tant qu’on n’a pas touché du doigt la réalité de ce cauchemar, on ne sait rien. On devine. On imagine. Et on passe son chemin. »

Le fugitif est un mineur, étranger, isolé. La suite, c’est la bascule dans la militance. Un pas sur ce chemin de l’engagement va en appeler un autre. Cacher quelqu’un, puis l’accueillir, puis tenter de l’aiguiller vers les bonnes personnes, les bonnes associations. Se heurter à l’arbitraire administratif, au pouvoir discrétionnaire de l’Etat ou des collectivités territoriales, … Etre révolté par ce qu’on découvre, qu’on ne soupçonnait pas deux jours avant. Etre témoin impuissant et scandalisé des pratiques illégales de refoulement, de non-accueil. Répondre presque par hasard à des sollicitations amicales ou pressantes : aller chercher un blessé, se laisser enrôler dans une maraude de nuit près de la frontière. Se heurter aux identitaires, aux gendarmes, à la justice… Y laisser son couple peut-être, l’affection des siens, rompre des amitiés, au nom de ces nouvelles fidélités, y risquer son travail, sa réputation, sa liberté ….

“Les engagés” est un beau portrait de militant, réalisé par Emilie Frèche. Benjamin Lavernhe est impressionnant de justesse. Le film s’ouvre sur l’arrière de sa tête, pensive, que frotte sa main, mais sa main abîmée, blessée, rugueuse …. Un cerveau et des mains salies. Autour de lui, on regrette que le format de film ne permette pas de donner toute l’ampleur désirée à certains personnages : les personnages des exilés , à l’exception de Joko, manquent d’épaisseur, ils sont trop montrés comme un élément du décor nécessaire : certes il s’agit d’un film sur ces engagés que sont les militants, mais on aurait aimé voir davantage la variété d’émotions et et de relations qui sont tissées au contact des exilé-e-s, et qui nourissent aussi l’engagement des militants que nous sommes.

Ainsi du personnage de Gabrielle (Julia Piaton), que David finit par entrainer dans son sillage d’engagement, mais qui s’estompe dans la deuxième partie du film. Ou de Lili , la jeune adolescente (scène magnifique où Luna Bevilacqua est remarquable dans le jeu silencieux quand elle comprend la tragédie qui s’est déroulée en son absence). Ce sont aussi les militants/ bénévoles du “Refuge” dont on aimerait savoir davantage : leur ancienneté dans l’engagement leur fait adopter des positions moins immédiatement radicales et plus tactiques que celle de David, mais comment se positionnent-ils, qui sont-ils ?

Il y a comme une atmosphère de camp de combattants dans le refuge que dirige Anne (Catherine Hiegel) : il y a des adversaires, il y a des ennemis que l’on combat. On combat pour les droits humains, pour la dignité des exilés, pour leur survie. Tous connaissent la violence de l’Etat. Ils savent ce dont l’Etat est capable quand il est attaqué. Comme l’écrit Lordon “(L’Etat) ne révèle jamais si bien son fond pulsionnel qu’à sa manière , non pas de châtier, mais d’écraser, et si c’est possible d’anéantir, les “criminels politiques” qu’en réalité il a constittués en ennemis de l’Etat. (…) Il vaut mieux être le pire meurtrier d’enfant que l’ennemi de l’Etat.” (1)

Le gendarme Vincent (Bruno Todeschini), ami de David, apporte une nuance nécessaire. Il a plus vécu que David et tempère le naïf enthousiasme initial de ce dernier sur une paroi. “Que la France est belle !” lance un David ivre de joie. “Vue d’ici, peut-être.” lui répond Vincent, pensif et désabusé.

La fin du film accumule les ellipses, ce qui l’affaiblit, et c’est dommage. Certains dialogues sont également trop didactiques. Mais comment faire autrement ? Le droit des étrangers est si peu connu, la réalité des situations vécues réellement est tellement méconnue.

Un format plus long, celui d’une mini-série, par exemple, aurait peut-être permis de pallier à certains des manques ressentis et des défauts du film.

Il n’en reste pas moins que c’est un film important à voir. On devient militant parce qu’un jour, notre regard a croisé un autre regard. Parce qu’on a ouvert les yeux. Parce qu’on a vu un visage. Parce qu’un jour, on a pris le réel en pleine gueule. Le réel, c’est ce à quoi on se cogne, disait (je crois) un psychanalyste. Certains se cognent ainsi au réel du vécu des exilés. Ils deviennent “les engagés”.

Vincent Cabanel

(1) Frédéric Lordon : Imperium, p. 16 – La fabrique éditions – 2015

L’Ocean Viking à Toulon

Le bateau de l’ONG SOS Méditerrannée a enfin pu accoster à Toulon, après plus de 20 jours de mer, qui ont été un véritable calvaire. La France, contrainte et forcée, a fini par céder alors que M.Macron avait en 2018 refusé le bateau “Aquarius” de la même ONG, après un semblable refus de l’Italie.

Tout en se réjouissant de cette décision SOS Méditarrennée en souligne les limites, dans ces trois tweets et leur communiqué de presse :

Toulon : un réel “accueil” ?

L’accueil à Toulon est-il un véritable accueil ? On peut en douter. La fiction de la zone d’attente censément extra-territoriale permet au ministre de l’Intérieur de paraître continuer à jouer un jeu de fermeté pour contrer les cris d’orfraie poussés par la droite et l’extrême-droite du parlement.

Le communiqué interassociatif initié par la CIMADE, l’ANAFE, le GISTI, la LDH et le SAF (entre autres)(1) proteste contre la création d’une zone d’attente ” rendant impossible l’accès des associations habilitées et des élu.e.s de la République, sous prétexte de secret défense, ne permettant pas à des personnes en situation de particulière vulnérabilité d’avoir accès à l’assistance minimale que la loi leur reconnaît.”

Cet article de Mediapart “À peine débarqués, les rescapés de l’« Ocean Viking » sont privés de liberté”, décrit bien cette triste réalité de l’accueil de rescapés, fragiles, stressés, dans la zone d’attente bricolée à la hâte par le gouvernement dans le port militaire de Toulon

Et demain ?

De plus alors que la France avait refusé d’autoriser l’Aquarius à accoster dans un port français en 2018, la restriction répétée et soulignée par Gerald Darmanin du “caractère exceptionnel” de cette autorisation d’accoster donnée à l’Ocean Viking ne peut qu’inquiéter. Rien, ou presque, n’a avancé dans les coordinations entre états européens depuis 2018 pour définir et mettre en oeuvre une politique claire au sujet des sauvetages en mer et des accueils dans les pays de première ligne. La France d’ailleurs ne serait-elle pas un pays de première ligne puisqu’elle a un rivage méditerrannéen et plusieurs ports à même d’accueillir ces bateaux ambulances ?

Qu’en sera-t’il alors pour les prochains bateaux de sauvetage de migrants qui chercheront un port ? Reverrons nous à chaque fois les mêmes indécisions, les mêmes jeux de politique, les mêmes débats insanes ? Et ce alors même que cette part des entrée sur les territoires européens réalisées dans ces opérations de sauvetage n’est qu’une part infime (12 ou 14 %) du total des entrées : nombre d’entrées par la mer en Italie viennent des arrivées directes de “small boats ” à Lampedusa ou des opéartions de sauvetage de la marine italienne elle même. Depuis la fin de l’opération Mara Nostrum, rien n’est clair et c’est tragique.

Le nombre de morts en Méditerrannée se situe autour de 25 000 depuis 2015. Et nous tolérons cela ?

Les gouvernements… mais aussi les médias et les opinions publiques

Il a été mentionné plus haut la responsabilité des Etats et des gouvernement européens. Mais ce sont tous nos peuples européens qui doivent faire leur examen de conscience. Et les medias qui forgent l’opinion publique. Est-il acceptable, moralement et rationnellement que des medias organisent tranquillement des débats demandant s’il faut ou non accueillir l’Ocean Viking ? Qui sommes nous devenus pour que de tels débats passent “crème” sur les écrans ? Les réseaux sociaux ont été remplis de torrents d’immondices envers les ONG, accusées d’être les complices des passeurs, contre cette décision du gouvernement acusée de “créer un appel d’air” (notion fumeuse issue des logorrhées de l’extrême droite, et répandue hélas malgré toute absence de preuve de sa réalité)…

Des états cannibales

Eric Fottorino, rédacteur en chef de Le 1 avait déjà signé un texte redoutable et magnifique “La pêche du jour” au sujet de cette criminelle tragédie qui se joue en Méditerrannée et dans la Manche. Dans “C ce soir“, sur la 5, jeudi 9 novembre au soir, il s’exprimait calmement avec une vigueur pourtant inouïe :

“On est devenus des Etats cannibales. Les riches mangent les pauvres. Et comme c’est indigeste, on laisse la mer faire.”

Eric Fottorino
  • (1)
    • Anafé = Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers
    • GISTI = Groupe d’Information et de Soutien aux Travailleurs Immigrés
    • LDH = Ligue des Droits de l’Homme
    • SAF = Syndicat des Avocats de France