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Comment trouver facilement 6 milliards d’euros ?

(pour le Budget de la Sécurité Sociale)

Le budget de l’État et celui de la Sécurité Sociale sont en vedette depuis plus d’un an maintenant. Personne ou presque ne mentionne un moyen d’améliorer les choses et d’augmenter les recettes de la Sécurité Sociale : Régulariser TOUS les travailleurs immigrés sans papiers.

On évalue entre 300.000 et 700.000 le nombre de personnes étrangères résidant en France en situation irrégulière, c’est à dire « sans papiers ».

combien de cotisations sociales (salariales et patronales) rapporterait la régularisation de 500.000 travailleurs sans papiers ?

Pour estimer le montant des cotisations sociales (salariales et patronales) que rapporterait la régularisation de 500 000 travailleurs sans papiers en France en 2025, voici les éléments clés à retenir :

Taux moyens de cotisations sociales en 2025 :

  • Part salariale : environ 22 % du salaire brut.
  • Part patronale : entre 15 % et 50 % du salaire brut, selon la taille de l’entreprise et le niveau de salaire, avec une moyenne souvent estimée autour de 40-45 % pour un salarié au SMIC ou légèrement au-dessus.

Hypothèses de calcul :

  • Supposons un salaire brut moyen de 1 766,92 € (SMIC mensuel brut en 2025).
  • Pour 500 000 travailleurs, sur une année, cela représente un salaire brut annuel total de :
    • 1 766,92 € × 12 mois × 500 000 = 10,6 milliards d’euros.

Montant des cotisations :

  • Part salariale : 22 % × 10,6 milliards = 2,33 milliards d’euros.
  • Part patronale : 40 % × 10,6 milliards = 4,24 milliards d’euros (estimation basse) à 50 % × 10,6 milliards = 5,3 milliards d’euros (estimation haute).

Total estimé des cotisations sociales annuelles : Entre 6,57 milliards d’euros (estimation basse) et 7,63 milliards d’euros (estimation haute). Ces chiffres sont indicatifs et dépendent du niveau réel des salaires et des exonérations applicables.

La politique de la nouvelle équipe préfectorale des Pyrénées Atlantiques

En juillet 2024 avec l’arrivée de M. Samuel GESRET, secrétaire général, puis en novembre 2024, avec celle de M. Jean-Marie GIRIER, c’est une nouvelle équipe préfectorale qui représente le pouvoir de l’Etat dans le département.

Le CRDE a rencontré M. GESRET le 26 mars 2025. Et nous avons été attentifs aux premiers pas publics de M. GIRIER, notamment dans son intervention devant le Conseil Départemental, le 28 mars 2025.

Logement : « Fluidifier »

Lors de l’entretien qu’il nous a accordé, le secrétaire général a commencé d’emblée par la question du logement des demandeurs d’asile. Il a mentionné le nombre d’un peu moins de 1000 places de logement et d’hébergement sur le département, en additionnant tous les modes : CADA, PRAHDA, et semble-t-il aussi le dispositif d’hébergement d’urgence.

Sa préoccupation est que 500 de ces places étaient occupées par les demandeurs d’asile. Sa préoccupation était de fluidifier le dispositif de façon à pallier la sous-occupation d’une part, à travailler avec les bailleurs sociaux pour permettre l’accès de logements de droit commun aux personnes qui avaient obtenu le statut de réfugié mais demeuraient encore dans des places destinées aux demandeurs, et enfin en poussant les gestionnaires à libérer les hébergements « indus » : les personnes déboutées du droit d’asile qui se maintenaient au-delà d’un mois dans des places auxquelles elles n’avaient plus droit, du fait du refus de leur demande.

Davantage de déboutés du droit d’asile à la rue

(Rappelons à ce stade que seule une demande d’asile sur deux, au maximum, aboutit à l’obtention du statut de réfugié : un peu plus de 50 % des demandeurs d’asile sont in fine déboutés (à l’issue de tous les recours possibles) et deviennent des étrangers en situation irrégulière.

Il faut également rappeler à ce stade que depuis la loi Darmanin de janvier 2024, tout refus définitif du droit d’asile est accompagné systématiquement d’une OQTF dont la durée de validité est désormais de 3 ans, ce qui précarise encore plus les déboutés du droit d’asile.

Les deux pistes mises en avant par la préfecture pour les déboutés du droit d’asile :

  • Une meilleure exécution des OQTF :  On sait toutes les difficultés à réaliser une telle promesse sur laquelle se cassent les dents de tous les ministres de l’Intérieur qui multiplient promesses et effets de manche sur ce sujet, sans compter le coût faramineux que générerait cette augmentation des expulsions forcées[1]
  • Un accroissement de l’Aide au Retour Volontaire :ce dispositif géré par l’OFII concerne entre 5000 et 7000 personnes par an, majoritairement des hommes seuls. Penser l’augmenter de façon à « résoudre le problème » des déboutés relève de la pensée magique.[2]

La fermeture de la porte des AES

M. Gesret a été très clair avec nous : la politique de l’équipe préfectorale est de fermer la porte aux admissions exceptionnelles au séjour, et d’appliquer avec la plus extrême rigueur et sans états d’âme la politique impulsée par la loi Darmanin et la circulaire Retailleau.

Nous avons objecté à M. GESRET qu’une telle politique est dangereuse : elle fabrique des sans-papiers, elle fabrique du désespoir, de la précarité et elle ne peut que générer davantage de désordre public qu’elle ne prétend en résoudre. Elle repose de surcroit sur des préjugés qui ne sont pas acceptables pour nous.

FORCE FRONTIERES

Depuis janvier 2025, nous en sommes déjà dans la région à au moins 3 journées massives de contrôle aux frontières et de contrôle d’identité ciblant les étrangers, dans notre département et parfois dans la région :

  • L’opération Force Frontières les mercredi 26 et jeudi 27 mars
  • La Journée du 20 mai
  • La journée du 18 juin (demande nationale de M. Retailleau)

Pour le CRDE, comme pour d’autres associations, il s’agit d’une intolérable « chasse aux migrants », que nous dénoncerons sans relâche.

Les préjugés de cette politique

Cette politique dangereuse et néfaste s’appuie hélas sur les préjugés habituels :

  • L’assimilation entre immigration et délinquance (c’était manifeste dans l’intervention du préfet Girier devant le CD64)
  • Le soupçon de mensonge et de fraude envers l’étranger (par exemple : soupçon sur les femmes étrangères qui ont recours au Parcours de Sortie de la Prostitution)
  • Une méconnaissance crasse de la réalité du vécu des parcours de migration

[1] En septembre 2024, la journaliste Anne Sophie LAPIX avait mentionné sur France 2 le montant de 13 800 euros par expulsion forcée, en se basant sur un rapport de commission parlementaire. https://www.capital.fr/economie-politique/13-800-euros-pour-chaque-oqtf-on-a-verifie-le-cout-des-obligations-de-quitter-le-territoire-francais-1503083

[2][2] https://observatoire-immigration.fr/ofii-et-les-dispositifs-d-aide-au-retour-didier-leschi/

De la Circulaire VALLS à la Circulaire RETAILLEAU 

L’admission exceptionnelle au séjour

L’admission exceptionnelle au séjour (AES) est le terme exact la plupart du temps quand le langage commun parle de « régularisation » de personnes étrangères sans papiers.

Le cadre légal de l’AES existe : articles L435-1 à L435-4 du CESEDA (Code de l’Entrée et du Séjour des Etrangers, et du Droit d’Asile). L’article L435-4 est une création de la « loi Darmanin » de janvier 2024[1] : la « fameuse » « régularisation au titre des métiers en tension ».

Mais ce cadre légal est très ténu : l’admission exceptionnelle au séjour a toujours relevé du pouvoir discrétionnaire des préfets. Cet arbitraire préfectoral entraine régulièrement des différences de traitement importantes d’un département à l’autre qui contreviennent au principe constitutionnel d’égalité.

Afin de tenter d’y remédier, la « circulaire VALLS » du 28 novembre 2012[2] avait permis de clarifier les critères d’admission au séjour (AES) sur lesquels les préfets pouvaient fonder leur décision. Cette circulaire ne supprimait pas le pouvoir discrétionnaire, mais permettait de réduire une partie de l’arbitraire en objectivant des critères relativement précis et stables. Malgré toutes ses insuffisances relevées par les associations de défense des étrangers, cette circulaire permettait aux demandeurs d’AES de fonder leur dossier sur des éléments objectifs et reconnus.

Cette circulaire était un vrai texte de réglementation administrative : la longueur (12 pages) le ton, le style, la technicité, la précision, les différenciations de cas, les références légales et réglementaires.

En revanche, et a contrario, la circulaire RETAILLEAU du 23 janvier 2025[3] est un texte plus politique qu’administratif :

  • Sa brièveté surprend : 3 courtes pages, peu de détails, des invitations floues (mais dures) en lieu et place d’un cadre rigoureux et clair.
  • Son style est militaire : invitation à la fermeté, à « recentrer l’AES sur son caractère exceptionnel, strictement entendu »[4], insistance sur les risques de « menace à l’ordre public »,  insistance sur les « valeurs de la République » que l’étranger doit respecter….
  • La fermeté devient dureté avec l’ordre de délivrer systématiquement une OQTF en cas de refus d’AES.
  • La durée de séjour de 7 ans (en situation irrégulière) est indiquée comme un « indice d’intégration pertinent » sur lequel se fonder pour accorder une AES (la « logique » spécieuse de cette affirmation nous laisse songeurs…)
  • Le niveau de langue française requis relève d’une demande de naturalisation, pas d’une demande de titre de séjour : le glissement est dangereux.

En abrogeant la circulaire Valls, la circulaire Retailleau vise très explicitement à renforcer le pouvoir discrétionnaire et l’arbitraire préfectoral, de façon à réduire de façon drastique le nombre d’Admissions Exceptionnelles au Séjour. Ceci se fait en dehors de tout débat démocratique, hors du champ de la responsabilité parlementaire. Pour le CRDE, comme pour de très nombreuses associations, ce texte est une véritable honte et un scandale (cf. notre communiqué du 31 janvier 2025)


[1] LOI n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration

[2] Circulaire NOR : INTK1229185C

[3] Circulaire NOR : INTK2435521J

[4] Sur 3 pages, on compte 14 occurrences du terme « exceptionnel », soit 4 fois plus en proportion que dans la circulaire Valls

Edito du 24 janvier 2025

Monsieur TRUMP a ouvert la chasse aux migrants sur le territoire des USA. Parmi les premières mesures qu’il a prise depuis son investiture lundi 20 janvier 2025, ce sinistre personnage s’attaque au droit du sol, a fait arrêter l’application permettant aux demandeurs d’asile de prendre rendez-vous avec l’administration, veut faire enfermer un maximum d’immigrants en situation illégale, veut déclarer l’état d’urgence à la frontière sud avec le Mexique, et veut lancer (il a commencé) ce qu’il a promis être « la plus grande opération d’expulsion de migrants et d’immigrés » de toute l’histoire des USA…

En France, nous avons M. Retailleau. Naguère compagnon de Philippe de Villiers, celui qui fut la triste plume finale de la loi immigration dite « Darmanin » du 26 janvier 2024, se voit pour le moment semble-t-il privé de son jouet que devait être « sa » loi immigration. Il comptait y remettre à l’ordre du jour toutes les mesures retoquées par le Conseil Constitutionnel en février dernier. En l’agrémentant bien sûr de plusieurs « joyeusetés » comme le rétablissement du délit de séjour irrégulier, la prolongation des temps de rétention (sans jugement) en CRA (Centre de Rétention Administrative), le détricotage ou la suppression de l’AME (Aide Médicale d’Etat), etc…

Privé (momentanément ?) de cette loi, pour cause de manœuvres politiques de son Premier ministre tâchant d’amadouer le PS pour éviter la censure lors du budget, M. Retailleau n’en poursuit pas moins son occupation de l’espace médiatique. Après avoir profité de son voyage à Mayotte pour mettre sur le dos de l’immigration irrégulière les malheurs qui frappent cette île (cyclones, mais surtout : négligence de la part de la métropole et des autorités publiques, pauvreté, mal construction, sous équipement, …), Bruno Retailleau s’attaque maintenant à la régularisation des sans-papiers en France.

C’est l’objet de sa circulaire du Jeudi 23 janvier 2025 (disponible en ligne sur Legifrance) sur l’admission exceptionnelle au séjour (AES).

Avec intelligence (non !) ce texte abroge la circulaire de 2012, dite « circulaire Valls », qui avait au moins le mérite de servir de support commun aux différentes préfectures sur tout le territoire national, pour donner des critères un peu objectifs à ces régularisations qui relèvent toutes du pur pouvoir discrétionnaires des préfets. Autant dire : de leur subjectivité et de leur toute puissance. L’arbitraire total.

 Avec méchanceté pure (que dire d’autre ?), là où la circulaire Valls demandait 5 ans de présence minimum sur le territoire français, M. Retailleau en demande 7 ! Toujours plus, toujours davantage. Avec cette seule justification :

Enfin, l’expérience (…)  fait apparaître que la qualité de l’intégration du demandeur est fortement liée à la durée de sa présence en France. Aux fins de s’assurer d’un niveau d’intégration raisonnable, il convient de proportionner les durées communément retenues dans le cadre des régularisations.

En ce sens une durée de présence d’au moins 7 ans constitue l’un des indices d’intégration pertinent… »

On reste pantois devant une justification aussi stupide : maintenons des gens plus longtemps dans l’illégalité pour leur permettre de s’intégrer. !!!! Allez donc travailler sans papiers, chercher à vous loger sans papiers, socialiser et vous intégrer avec une épée de Damoclès au dessus de la tête !!

Cette mauvaise circulaire de 3 pages est avant tout un coup de comm’ pour que l’on continue à penser que le ministre agit ! Elle ajoute quelques tours de vis (de vice ?) supplémentaires sur le niveau de français requis, les sempiternelles « valeurs de la République » (n’y a-t-il pas la fraternité dans ces « valeurs » ?), l’insistance sur l’interprétation « stricte » des critères, … . Autant de petites choses qui paraissent des riens, mais qui alimentent néanmoins cette « xénophobie d’ambiance » qui gangrène nos élites et contamine notre pays.

Les vilenies xénophobes et inhumaines d’un Trump ou d’un Retailleau n’auront pas tous les effets dont ils se rengorgent. La réalité les rattrapera. Tant les USA que la France ont un besoin vital de l’immigration. Les grands patrons américains auront vite fait de rappeler Trump aux nécessités du business as usual. Et les migrants latinos ou autres, sans papiers et crève misère, resteront indispensables au Capital. Ils reviendront. Mais entre-temps, Trump aura malmené, méprisé, maltraité, chassé, bousculé des vies, fait souffrir et mourir beaucoup trop d’humains.

Comment la France aurait elle un avenir sans apport de population extérieure, sans immigrés, sans migrants ? Avec un taux de 1,62 enfant par femme en 2024 (chiffres INSEE), la France est très en dessous du taux de 2,1 qui serait nécessaire à la stabilité de la population dans le cas d’un solde migratoire nul. Notre économie et le financement de notre modèle social sont également menacés.

Accueillir les étrangers désireux de s’installer en France (outre les demandeurs d’asile), avoir une politique d’intégration bienveillante et très proactive, voilà ce que devraient être les axes et les piliers d’une politique migratoire intelligente.

M. Retailleau énonce en tête de son « texte » que « la voie de l’admission exceptionnelle au séjour (AES) n’est pas la voie normale d’immigration et d’accès au séjour ».

Nous ne pourrions que lui donner raison s’il existait des voies normales et légales d’immigration et d’accès au séjour. Or aujourd’hui, les voies nécessaires n’existent pas.

  • La voie de l’asile existe. Même si la France a un taux d’acceptation faible : à peine une demande d’asile sur deux est acceptée aujourd’hui et reçoit une réponse débouchant sur le statut de réfugié. Et il y aurait beaucoup à dire sur les conditions d’accueil des demandeurs d’asile
  • La voie du regroupement familial existe : longue et difficile à obtenir, le nombre d’admissions dans ce cadre reste aujourd’hui stable
  • La voie des mineurs non accompagnés existe : un MNA pris en charge par l’ASE, formé, et accompagné pourra obtenir une carte de séjour
  • La voie des étudiants étrangers existe : mais il est très difficile à l’issue de changer son statut étudiant et en statut de travailleur

Il existe une voie étroite pour venir travailler en France quand on est étranger : obtenir un visa français et une promesse d’embauche adressée à l’étranger par l’employeur français, avant que la personne étrangère n’arrive en France : autant dire que « Ceux qui vont solliciter ces visas sont plutôt des personnes qualifiées qui remplissent les critères demandés » (Matthieu Tardis) c’est-dire des personnes qui obtiendront ce précieux visa et pourront aller en Europe via des routes sûres. Ce profil diffère de celui de personnes sans diplômes, sans ressources, qui se tournent généralement vers la clandestinité pour rejoindre l’Europe.

Comme le dit François Héran « Les chances d’obtenir un visa sont liées à la position sociale, aux ressources, aux réseaux » d’un étranger. (source INFO Migrants)

Bref, depuis que le gouvernement Chirac en 1974 (sous VGE) a fermé la voie de l’immigration de travail, les seules possibilités sont de tenter sa chance dans la voie de l’asile, ou pour les très jeunes gens, dans celle des MNA. Avec le risque fort de se retrouver débouté du droit d’asile, ou de se retrouver débouté de sa revendication de minorité. Dans les deux cas : à la rue et en situation irrégulière.

L’ouverture de vraies voies légales d’immigration et d’intégration par le travail pour toutes et tous, et pas seulement pour les «passeports talents » et pour les élites, est la seule solution.

Et dans l’immédiat : réclamons la régularisation de tous les sans papiers en France.

Vincent Cabanel

Après les législatives anticipées de fin juin… un nouveau Premier ministre…

La CIMADE, dont le groupe local est membre du C.R.D.E., a publié le communiqué suivant sur la situation politique actuelle, générée par la dissolution de l’Assemblée nationale prononcée le 9 juin 2024.

Nomination du premier Ministre : face à l’incompréhension et l’effarement, l’urgence d’un changement profond d’orientation politique sur les questions migratoires.

Chère amie, cher ami,

Les élections législatives anticipées, qui ont failli consacrer l’arrivée de l’extrême-droite au pouvoir, ont été l’occasion d’une mobilisation massive de la société civile, de millions de citoyennes et de citoyens, pour défendre nos principes républicains, éviter le basculement vers l’abime démocratique qu’aurait entraînée une victoire du RN et de ses soutiens.

Au lendemain de cette séquence apparaissait une nécessité : tracer un chemin alternatif pour combattre véritablement l’extrême-droite et ses idées dans la durée, avec la conscience de l’ampleur du défi restant à accomplir. Et permettre de faire renaître l’espoir d’une autre société, construite sur la solidarité, l’accueil, la garantie de l’égalité entre toutes et tous.

Dès lors, un impératif s’annonçait : tourner le dos à des politiques qui, tout en prétendant combattre l’extrême-droite, ne conduisent en réalité qu’à la renforcer, en reprenant ses mots, ses théories, ses propositions ; la promulgation de la loi asile et immigration en janvier 2024, revendiquée comme victoire idéologique par le RN, en étant l’une des illustrations les plus emblématiques.

De ce point de vue, la nomination au poste de premier Ministre de monsieur Michel Barnier, qui  laisse craindre la perpétuation d’une surenchère de stigmatisation et d’atteinte aux droits des personnes migrantes, que la droite et l’extrême-droite réclament déjà, ne peut susciter qu’incompréhension et effarement ; ses positions exprimées sur les questions migratoires, les propositions de démantèlement de l’Aide Médicale d’Etat, de remise en cause des engagements constitutionnels et internationaux de la France, s’étant avérées particulièrement outrancières et répressives.

Alors que ne cessent de progresser les idées de haine et de rejet de l’autre, alors que de  nouveaux naufrages dramatiques dans la Manche et la Méditerranée sont venus montrer encore une fois le caractère inefficace et mortifère de politiques migratoires construites selon les seules boussoles de la fermeture et de la répression, nous voulons solennellement dire au premier Ministre et à son futur gouvernement l’urgence absolue, pour les personnes migrantes, pour l’ensemble de notre société, pour l’avenir de  notre démocratie et pour nos principes républicains, d’un changement profond d’orientation politique et idéologique sur les questions migratoires.

Et en appeler à toutes et tous, citoyennes et citoyens, acteurs sociaux, associatifs… pour que ce message soit plus que jamais incarné, relayé et défendu ; pour faire de l’accueil et de la solidarité, du respect des droits et de la dignité des personnes, le socle commun de notre société.

Les équipes de La Cimade

Invitation au 191 ème Cercle de Silence (mardi 27 août 2024)

Après un mois d’interruption au milieu de l’été, et une interruption fin juin du fait de la belle fête organisée pour le Journée Mondiale des Réfugiés, nous reprenons notre combat persévérant et têtu et nos manifestations silencieuses si complémentaires au travail régulier des associations de solidarité, d’accompagnement et de lutte en faveur de la cause des exilé.e.s.

En France, nous avons eu très peur début juillet de l’arrivée au pouvoir d ‘un parti qui a fait de la préférence nationale le point nodal de sa ligne politique. Si le résultat des élections a pu un instant nous rassurer, nous avons suivi avec tristesse et colère la publication de plusieurs des décrets d’application de la funeste loi immigration adoptée dans des conditions scandaleuses au tournant de 2023 et 2024.[1]

Le sort des MNA continue à nous préoccuper à Pau. Le nombre de MNA mis à la porte par le département ne cesse d’augmenter et l’association Humanité Solidaire 64 ainsi que la Cimade consacrent une part importante de leurs actions pour les accompagner. Et en Espagne aussi, le sort des mineurs isolé nourrit des tensions. Ou plus exactement, leur sort sert de prétexte aux xénophobes pour en faire des boucs émissaires. Mais le fonds du poblème comme le montre ce reportage du Monde[2] est le manque de solidarité entre régions d’Espagne, dont certaines refusent à prendre leur part pour soulager notamment l’archipel des Canaries, où se trouvent 6000 mineurs isolés pour 2000 places d’accueil.

 « Nous continuons à traiter un phénomène structurel, comme s’il s’agissait d’une situation d’urgence, regrette Andres Conde, directeur de Save the Children Espagne. Alors que nous avons besoin d’un mécanisme stable et d’une coresponsabilité de l’ensemble du territoire, nous voyons une utilisation politique du problème et une prolifération des discours haineux. Pourtant, selon les données de la police, rien ne permet de dire que les mineurs isolés commettent plus de délits que la population nationale du même âge. »

Ces jeunes ne demandent qu’à s’intégrer dans le pays où ils sont arrivés : ils veulent un travail, une vie équilibrée, fonder une famille, apprendre,…

Au lieu de se focaliser sur des questions mal posées et erronées (le lien fictif entre immigration et délinquance, l’imaginaire maîtrise des flux migratoires, ….) nos gouvernants européens seraient mieux inspirés de lire cette tribune dont Hakim El Karoui est un des signataires : « Il faut se battre pour mettre en place une vraie politique d’intégration »[3]

Parce que les problèmes existent, parce que l’immigration est une solution qui répond à un certain nombre de problèmes de la France, parce qu’elle constitue l’identité de notre nation mais aussi parce qu’elle va continuer, il faut se battre pour mettre en place une vraie politique d’intégration qui aujourd’hui n’existe pas.

Il nous faut comprendre les processus d’intégration, mettre des moyens publics pour éviter la formation de ghettos en pilotant la répartition des populations.

Faute de cette politique d’intégration, l’instrumentalisation des sujets touchant aux migrations et aux étrangers présents en Europe ne peut qu’attiser des émeutes haineuses comme celles qu’a connues le Royaume Uni cet été. Et la réponse par l’enfermement dans les CRA (Centres de Rétention Administrative) – prisons honteuses qui ne disent pas leur nom réel – est un dramatique cautère sur une jambe de bois : inutile, tape à l’œil, dangereuse. Le nouveau gouvernement travailliste de « Sa Grâcieuse Majesté » semble hélas vouloir poursuivre la honteuse politique de ses prédécesseurs.[4]

Et pendant ce temps-là, la Méditerranée, l’Atlantique, la Manche et les déserts d’Afrique continuent d’engloutir des vies humaines : des enfants, des femmes , des hommes … qui voulaient juste vivre un peu mieux ! :

  • Les autorités grecques ont déclaré avoir secouru 245 migrants, entre mercredi 21 août et vendredi 23 août, au large de Gavdos, petit caillou de terre situé au sud de la Crète.[5]
  • Les trois frères d’Halimatou – Saliou, Souleymane et Mamoudou – ont pris la mer il y a trois mois depuis Bargny, au Sénégal, dans le but de rejoindre les Canaries. Depuis, la jeune femme et sa famille reste sans nouvelles[6]
  • Au moins 10 morts, dont un bébé, après un naufrage sur une rivière entre la Serbie et la Bosnie[7]
  • Au Niger, plus de 2 000 migrants expulsés par l’Algérie et abandonnés à Assamaka en deux semaines[8]
Une arrivée de migrants à Assamaka, au Niger. Crédit : Alarme phone Sahara

Sélection et compilation faites par Vincent Cabanel


[1] https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/07/16/loi-immigration-des-decrets-d-application-publies-dans-le-journal-officiel_6250860_3224.html

[2] https://www.lemonde.fr/international/article/2024/08/08/immigration-en-espagne-le-sort-des-mineurs-isoles-nourrit-des-tensions_6272421_3210.html

[3] https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/07/21/il-faut-se-battre-pour-mettre-en-place-une-vraie-politique-d-integration_6254327_3232.html

[4] https://www.infomigrants.net/fr/post/59265/centres-de-detention-renvois-de-demandeurs-dasile-le-royaumeuni-devoile-de-nouvelles-mesures-pour-lutter-contre-limmigration-illegale

[5] https://www.infomigrants.net/fr/post/59347/les-gardecotes-grecs-secourent-245-migrants-au-sud-de-la-crete

[6] https://www.infomigrants.net/fr/post/59332/halimatou-a-la-recherche-de-ses-trois-freres-disparus–ils-ne-mont-jamais-dit-quils-monteraient-dans-une-pirogue  

[7] https://www.infomigrants.net/fr/post/59331/au-moins-10-morts-dont-un-bebe-apres-un-naufrage-sur-une-riviere-entre-la-serbie-et-la-bosnie

[8] https://www.infomigrants.net/fr/post/59306/au-niger-plus-de-2-000-migrants-expulses-par-lalgerie-et-abandonnes-a-assamaka-en-deux-semaines

Atteintes aux droits des mineurs isolés en France : 27 associations saisissent le Conseil d’État 

Action collective

Vingt-sept organisations saisissent le Conseil d’État pour contraindre les autorités françaises à mettre le dispositif de mise à l’abri et d’évaluation des mineurs isolés en conformité avec les exigences posées par la Convention internationale des droits de l’enfant.

Dans une décision du 25 janvier 2023, le Comité des Nations Unies pour les Droits de l’Enfant, composé de dix-huit experts indépendants chargés de surveiller la mise en œuvre de la Convention internationale des droits de l’enfant, a conclu que la France avait violé plusieurs dispositions de ce texte. Après avoir constaté que l’âge d’un mineur isolé avait été évalué de façon trop sommaire et qu’il avait été laissé sans protection durant toute la procédure, le Comité a demandé à la France de prendre, dans un délai de 180 jours, les mesures nécessaires pour que ces violations ne se reproduisent plus.

Malgré les demandes formulées par l’ONU et relayées à de nombreuses reprises par nos organisations, aucune mesure n’a été prise par le gouvernement pour remédier à ces violations. Au contraire, nous constatons qu’elles perdurent, s’amplifient et s’aggravent sur l’ensemble du territoire.

Dans les derniers mois, plusieurs conseils départementaux ont ainsi décidé, en toute illégalité, de suspendre l’accueil et la prise en charge de nouveaux mineurs non accompagnés arrivés sur leur territoire ou qui leur sont confiés par le juge des enfants. Les documents d’état civil présentés par les enfants pour attester de leur minorité sont souvent écartés ou jugés insuffisants, sans pour autant que leur soit proposée une aide pour récupérer des actes valides auprès des autorités de leur pays. Contrairement aux exigences des textes internationaux, la France persiste à ne pas désigner de représentant légal chargé de les assister durant toute la procédure. Cette situation est source de grande insécurité pour ces enfants qui sont souvent victimes d’erreurs d’appréciation. Elle conduit à les écarter des dispositifs de protection.

Enfin, des centaines d’enfants et adolescents continuent d’être laissés à la rue pendant plusieurs mois entre la décision de refus de protection des départements et celle du juge des enfants qui reconnaît finalement leur minorité et leur isolement. Une enquête menée en mars 2024 comptabilise à cette date au moins 3 477 mineurs isolés à la rue en France hexagonale.

Cette situation résulte de l’inertie du gouvernement et de son refus de prendre les dispositions nécessaires pour se conformer aux recommandations du Comité des droits de l’enfant. Il est urgent qu’il réforme le dispositif de mise à l’abri et d’évaluation des mineurs isolés dans ce sens. A défaut, nous attendons du Conseil d’État qu’il reconnaisse l’inconventionnalité du dispositif actuel et qu’il enjoigne l’État à prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir pleinement l’intérêt supérieur de ces enfants et le respect de leurs droits fondamentaux.Paris, le 14 mai 2024

Signataires :

  • Aadjam
  • AADH
  • ADDE
  • ADMIE
  • ANAS
  • Apprentis d’Auteuil
  • Cimade
  • CNAPE
  • Cofrade
  • Comede
  • DEI-France
  • Droit à l’école
  • ECPAT France
  • Fasti
  • Fondation Abbé Pierre
  • Gisti
  • InfoMIE
  • Ligue des Droits de l’Homme
  • Médecins du Monde
  • Médecins Sans Frontières
  • Safe Passage International
  • Secours Catholique Caritas France
  • Syndicat de la Magistrature
  • UNICEF France
  • Uniopss
  • Utopia 56

La Honte, la Mort, la Menace et le Smartphone

La loi de la Honte

La « loi sur la sûreté du Rwanda » votée le 23 avril au Royaume Uni marque une terrible régression pour la plus vieille démocratie d’Europe. Ses dispositions constituent une instrumentalisation politique des plus cyniques de la question de l’immigration.[1]

Que ce soit avec le pacte Immigration adopté par l’Europe, avec les accords interétatiques signés avec la Lybie, la Tunisie, la Mauritanie, la Turquie, etc.,  l’Europe s’engage toujours plus avant dans la voie honteuse de l‘externalisation «  cachez ces migrants que je ne saurais voir ». « Ne faisons pas les choses déplaisantes sur notre propre sol ». Cette politique de l’autruche ne nous fait pas honneur. Hot-spots, centres de rétention aux frontières, sous-traitance à des pays peu regardants en matière de droits de l’homme, et maintenant charters vers le Rwanda … Ce pourrait être risible si ce n’était pas dramatique pour les femmes, les hommes et les enfants qui seront victimes de ces politiques stupides, coûteuses, inefficaces, et par-dessus-tout : inhumaines, odieuses !

La mort dans la Manche

A Wimereux, sur la côte de la mer du Nord, des migrants ont tenté de prendre la mer dans la nuit de lundi 22 à mardi 23  avril et sont décédés. Il y a au moins cinq morts, dont une petite fille de 4 ans.[2]

En 2015, le décès du petit Aylan émouvait toute l’Europe : on se disait : « non, il ne faut pas, il faut mettre en place des secours ». Aujourd’hui tout le monde s’en fout. Les Etats ont arrêté depuis belle lurette d’organiser le secours en mer, qui est de leur devoir, selon le droit international. Ils délaissent ce devoir, et mettent d’innombrables obstacles devant les associations citoyennes qui essaient tant bien que mal de pallier la défaillance des gouvernements européens, lesquels gouvernements n’hésitent pas à criminaliser ces associations qui sauvant notre honneur.

Pourtant ni la loi sur le Rwana, ni les dangers des traversées de la Manche n’arr^teront celles et ceux qui veulent simplement et légitimement une vie meilleure.[3]

Toujours des vies menacées

La traversée d’une mer a-t-elle été réussie que nos gouvernants s’ingénient à « pourrir la vie » de celles et ceux qui bossent, qui essayent de s’intégrer. En France, les menaces d’expulsion pleuvent sur des jeunes que chacun de nous serait fier d’avoir comme enfant, des jeunes au parcours admirable.

Un exemple parmi mille autres, Kélé à Lyon : Arrivé en France à l’âge de 14 ans, Kéletigui Sylla surnommé Kélé, d’origine guinéenne, vit à Lyon depuis 10 ans. Pour tous celles et ceux qui le côtoient, Kélé « force l’admiration par son parcours d’intégration ». Pourtant, depuis le 11 mars 2024, il vit sous la menace d’une expulsion prochaine.

Le média Rue 89 nous fait ce récit[4], qui hélas n’est pas une « erreur » unique, mais une triste habitude répétitive de l’administration préfectorale.

Des prisons sans jugement

Cornebarrieu est un centre de rétention administrative. Une prison sans jugement. C’est à Toulouse à deux heures de chez nous. Plus exactement c’est dans une sorte de no man’s land au bout des pistes de l’aéroport des pistes de Blagnac. Le genre d‘endroit glauque où, à côté des barbelés qui le cernent, il n’y a même pas un embryon de parking pour se garer. Visites découragées.

C’est le plus important centre de rétention administrative (CRA) proche de Pau. On y enferme, sans jugement, au mépris de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (articles 7 et 9)[5] des personnes qui ne causent aucun trouble à l’ordre public et dont le seul tort (qui n’est pas un délit) est d’être étranger et de n’avoir pas de papiers en règle. Un pur délire, un pur scandale, au regard des droits humains fondamentaux.

On comprend que des gens veuillent s’en échapper[6]. Qui d’entre nous ne ferait de même ?

Le smartphone, un instrument de survie

Dans le parcours d’un exilé qui tente de rejoindre une terre d’accueil, le smartphone est un instrument essentiel

Seydou Cissé est un artiste plasticien et réalisateur malien qui vit et travaille à Roubaix. Dans son film documentaire, « Taamaden », il a recueilli les récits de migrants originaires d’Afrique qui ont bravé la traversée de la méditerranée en restant connectés à leur marabout via leur smartphone.

Cet article parle de son travail, de ses rencontres[7]. Pour nous permettre, ne serait-ce qu’un peu, de comprendre de l’intérieur ce que c’est qu’un vécu migratoire, et le courage, et l’espoir, et l’opiniâtreté qu’il faut pour se lancer dans pareille aventure.

A titre personnel, j’admire les migrants pour ce qu’ils témoignent d’une espérance en marche.

Vincent Cabanel


[1] https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/04/25/royaume-uni-rwanda-la-loi-de-la-honte_6229798_3232.html

[2] https://www.lavoixdunord.fr/1454973/article/2024-04-23/drame-wimereux-au-moins-cinq-migrants-morts-dans-des-tentatives-de-traversees

[3] https://www.huffingtonpost.fr/international/article/expulsion-des-migrants-au-rwanda-la-menace-ne-fera-pas-reculer-les-traversees-par-la-manche-interview_233063.html

[4] https://www.rue89lyon.fr/2024/04/20/lyon-kele-modele-integration-menace-expulsion/

[5] « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. »

[6] https://www.ladepeche.fr/2024/04/09/incendie-au-centre-de-retention-de-cornebarrieu-des-degats-et-des-absents-11879927.php

[7] https://france3-regions.francetvinfo.fr/hauts-de-france/nord-0/roubaix/marabout-rituels-et-smartphones-comment-les-telephones-portables-aident-les-migrants-a-surmonter-les-epreuves-des-traversees-dangereuses-2952605.html

Bientôt les élections européennes …

Bientôt les élections européennes.

Il est possible que les questions des politiques migratoires soient un enjeu important de débats, et des votes.

Le pacte migratoire européen

Le « Nouveau Pacte sur la migration et l’asile » est une proposition de la Commission européenne présentée en septembre 2020 et discutée depuis cette date au sein de l’Union Européenne (UE), pour réformer les règles communes entre les États membres dans les domaines de l’asile et l’immigration.

Il consiste en cinq propositions législatives et quatre recommandations destinées à se substituer à une partie de ces règles communes pour, selon la Commission, mettre en place « un système permettant à la fois de maîtriser et de normaliser la migration à long terme, tout en étant pleinement ancré dans les valeurs européennes et le droit international ». (Toujours le fameux slogan : « Fermeté et Humanité » !!! dont on sait ce qu’il vaut)

Fondé sur le postulat (faux !) que l’UE est menacée par la pression migratoire, il vise en réalité à ressouder les États membres, particulièrement divisés depuis la mal nommée « crise migratoire » de 2015, autour d’un objectif commun : mieux résister « aux situations de crise et de force majeure » liées « à un grand nombre d’arrivées irrégulières ». Pour ce faire, le Pacte ne propose rien de « nouveau », il s’inscrit au contraire dans la continuité des politiques antérieures : parmi les mesures proposées, il privilégie

  • la dissuasion en amont des arrivées irrégulières de personnes étrangères en Europe,
  • des procédures renforcées de contrôle et de tri aux frontières en vue d’en expulser le plus grand nombre,
  • la répartition autoritaire de celles qui seraient reconnues comme éligibles à l’asile au sein des États membres volontaires, les autres pouvant s’affranchir de cette obligation à travers un mécanisme complexe de compensation financière.

Loin de proposer le « programme équilibré et humain » que promet la Commission européenne, le Pacte, en intensifiant la logique du tri, de l’enfermement et de l’exclusion, traduit l’obstination de l’UE à faire prévaloir la protection de ses frontières sur la protection des exilé⋅es, au mépris de leurs droits fondamentaux.

L’adoption définitive de l’ensemble des mesures devrait avoir lieu d’ici avril 2024.

L’Allemagne et l’Angleterre, guère mieux que la France actuellement

Au Royaume-Uni, la chambre des Lords a infligé un nouveau revers au projet de loi visant à expulser les réfugiés au Rwanda. Elle a notamment voté pour exiger que le texte respecte intégralement le droit national et international.

Ce nouveau camouflet permet de retarder davantage le décollage d’éventuels vols vers le Rwanda, que le gouvernement de Rishi Sunak espérait pourtant débuter « dès le printemps » de cette année.

Ping-Pong aux enjeux terribles entre les parlementaires et l’exécutif. Le gouvernement de Rishi Sunak veut toujours : « décourager l’immigration par des voies dangereuses et illégales. ». Mais toujours sans ouvrir des voies sûres de migration, et toujours en déléguant un rôle policier à la France, externalisant la frontière à Calais, contribuant ainsi à créer les camps terribles que nous connaissons sur les rives de la Manche.[1] Cette politique d’externalisation (vers la France, vers le Rwanda) est une stupidité fondée sur la croyance qu’il serait possible de maitriser les flux migratoires (qui sont un phénomène naturel), et sur la superstition du pouvoir de l’argent, versé à ces pays en contrepartie de quelque chose d’impossible.

L’Allemagne, en ce moment, ne vaut guère mieux que la Grand Bretagne. Nos amis d’outre-Rhin se sont dotés d’une « loi sur l’amélioration du rapatriement », entrée en vigueur fin février, doit permettre de simplifier et d’accélérer les expulsions. Rien que le titre fait envie !

Berlin a également signé de nouveaux accords avec une série de pays d’origine pour simplifier les retours de migrants déboutés du droit d’asile, et par conséquence de rendre l’Allemagne moins attractive (!)[2]

Comme en France, la montée des opinions d’extrême- droite se trouve en contradiction flagrante avec le grand besoin de main d’œuvre étrangère qualifiée.

Nous pouvons continuer à nous inquiéter : nos pays européens marchent sur la tête

La Manche et la Méditerranée : toujours des lieux abandonnés et dangereux

Bien évidemment, ces lois et projets de pactes n’arrêtent en rien les traversées périlleuses des mers et des déserts. Ainsi cette semaine, dans la nuit de mardi 19 à mercredi 20 mars , ce sont 113 personnes qui ont été secourues dans la Manche par le CROSS[3] Gris-Nez.

Félicitons les secours. Mais n’oublions pas les morts : Au début du mois de mars, une fillette de sept ans est décédée après le naufrage de son embarcation dans le canal de l’Aa, à l’embouchure de la mer du Nord. En tout, déjà dix migrants sont morts en 2024 en tentant de rallier le Royaume-Uni via la Manche.

La police nationale du Pas-de-Calais bloque régulièrement les départs de migrants depuis la côte d’Opale. Derniers exemples en date, ce jeudi matin : les forces de l’ordre signalent avoir mis en échec le départ d’un bateau de 50 exilés au Touquet, et de quatre autres embarcations à Wimereux.

Mais cela n’empêche pas les arrivées sur les côtes anglaises, au prix d’autres dangers. De l’autre côté de la Manche, huit embarcations de migrants ont atteint les côtes britanniques mercredi, transportant au total 450 exilés. Un nouveau record d’arrivées en une seule journée, soulignent les médias britanniques. Parmi ces 450 arrivées, un exilé blessé par arme blanche a été secouru puis transféré à un hôpital après avoir débarqué au port de Douvres.[4]

L’illusion de la « solution » du retour des migrants dans leurs pays

Combien de fois ne nous a-t-on pas demandé à nous autres, militants et bénévoles, si la « solution » ne serait pas de les aider à rentrer au pays ?

Bien sûr il y a en France, l’aide de l’OFII au retour volontaire. Elle n’est pas négligeable, mais est très peu choisie par les exilés. Retourner « au pays » n’est pas une chose facile.  Cet article de Info-Migrants fait le point sur le dispositif mis en place en Côte ‘Ivoire par le gouvernement de Alassane Ouattara, à cet effet. Et la situation décrite est loin d’être idyllique.

Pour inciter ses ressortissants à rentrer au pays, les autorités ont, il n’empêche, lancé divers programmes d’aide à la réinsertion économique et sociale, en partenariat avec l’OIM. En 2023, plus de 1 700 Ivoiriens – poussés notamment par les attaques anti-Noirs en Tunisie – sont revenus chez eux, un record depuis 2013. Et près de 800 ont demandé l’aide proposée par l’État.

Mais beaucoup attendent encore de toucher ces sommes d’argent. Abdoul Rahman, rentré de Tunisie l’année dernière, travaille dans la boutique de son frère en attendant de monter son propre commerce. « Moi j’ai un projet, donc j’attends le financement, témoigne-t-il au micro de TV5 Monde. Mais si à chaque fois on me dit : ‘Dans 9 mois’, je vais recevoir [cet argent] quand ? ».

Pour pallier les carences de l’État, des ONG tentent d’aider les migrants, souvent traumatisés par un passage en Libye ou une traversée périlleuse de la Méditerranée. L’Association pour la réinsertion des migrants de retour en Côte d’Ivoire (Arm-ci), basée à Abidjan, aide par exemple les exilés à « réintégrer le tissu social », avait assuré à InfoMigrants Boniface N’Groma, son fondateur. D’abord en leur permettant de gagner leur indépendance financière, car beaucoup de migrants de retour doivent rembourser des personnes qui leur ont prêté de l’argent pour leur voyage. Puis en leur apportant un soutien psychologique, indispensable à leur réinsertion.

« Une fois rentrés, par honte, beaucoup se cachent et ne préviennent pas leurs parents, avait confié Florentine Djiro, présidente du Réseau africain de lutte contre l’immigration clandestine (Realic). Le regard de la famille et de l’entourage sur eux est très dur. Dans certaines zones du pays, ces migrants de retour, on les appelle ‘les maudits’ ».

Vincent Cabanel, avec Info-Migrants


[1] Rédigé à partir de cet article de Info-Migrants

[2] Rédigé à partir de cet article de Info-Migrants

[3] centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage (CROSS)

[4] Rédigé à partir de cet article de Info-Migrants

Attaques répétées contre les associations qui défendent les exilés

Tribune collective
« Nous assistons à des attaques répétées contre les associations qui défendent les exilés »

Cette tribune collective a été publiée dans Le Nouvel Obs le 2 novembre 2023

L’assassinat le 13 octobre dernier au lycée Gambetta d’Arras de Dominique Bernard, professeur de français, les graves blessures causées à deux personnels de l’établissement, ont plongé notre pays dans l’effroi. Face à cet acte ignoble et injustifiable, nos associations expriment à nouveau leur plein soutien aux victimes, à leurs proches, à la communauté éducative une nouvelle fois endeuillée. Dans ce contexte tragique, la tournure du débat médiatique et politique s’est révélée particulièrement alarmante pour notre démocratie, notre cohésion sociale et la protection de l’État de droit.

Le déferlement des préjugés et raccourcis liant, sans aucun recul ni souci d’exactitude, immigration, délinquance et terrorisme, confortant la stigmatisation des personnes étrangères, attisant les tensions et les divisions, est d’abord dramatique. Alors que le passé nous a démontré qu’on ne peut établir de lien automatique entre origine, nationalité et implication dans des attentats, alors que nombre de travaux de recherches démentent le présupposé selon lequel les personnes étrangères seraient davantage délinquantes, il est atterrant de voir à quel point amalgames et contre-vérités se diffusent dans le débat politique et médiatique, avec si peu de contradictions.

Une véritable campagne de haine

Des associations de solidarité qui s’étaient mobilisées en 2014 contre la séparation et l’expulsion du meurtrier présumé font depuis lors l’objet de critiques virulentes de certaines figures politiques ou médiatiques, qui alimentent ainsi une véritable campagne de haine, incluant des intimidations, menaces et dégradations. Depuis plusieurs années, nous assistons à la répétition d’attaques contre les acteurs du monde associatif engagés dans la défense des personnes exilées ou des droits humains ; un jour désignés complices des passeurs, un autre complices des terroristes, le lendemain menacés de voir leurs subventions coupées.

Ces attaques infondées et caricaturales contre les corps intermédiaires que sont les associations représentent une véritable menace pour notre État de droit et pour la vitalité démocratique de notre pays. Elles peuvent aussi mettre en danger les milliers de bénévoles et salariés qui œuvrent au quotidien dans ces associations, auprès des personnes en situation de vulnérabilité, et qui pallient bien souvent les défaillances de l’État. Enfin, la présentation du projet de loi asile et immigration comme débouché et solution politique miracle après le drame d’Arras, accompagnée d’une surenchère de nouvelles mesures répressives au détriment des droits fondamentaux, est une réponse inadaptée et dangereuse pour notre société.

La contestation voire le mépris affiché pour le respect par la France des conventions internationales, prônée par le ministère de l’Intérieur lui-même, et largement banalisée dans le débat politique et médiatique, témoigne d’une grave perte de repères sur ce qu’est l’État de droit. Alors que la période appelle apaisement et cohésion, les orientations gouvernementales nous projettent à l’inverse dans un abîme d’arbitraire, de stigmatisation et de précarisation accrue de nombreuses personnes étrangères ; des mécanismes qui ont toujours fait le lit des ressentiments et de la violence.

Nos associations en appellent au gouvernement, aux responsables politiques, à l’ensemble du corps social, pour prendre d’urgence la mesure de ces dérives majeures à l’égard de notre État de droit et de notre démocratie, et combattre ces injustices à venir. Et pour faire à l’inverse triompher la tolérance, l’inclusion, la solidarité et le respect des droits fondamentaux.

Liste des signataires :

  • Amnesty International France : Jean-Claude Samouiller, président
  • Anafé (Association nationale d’Assistance aux Frontières pour les Personnes étrangères) : Alexandre Moreau, président
  • Anvita (Association nationale des Villes et Territoires accueillants) : Damien Carême, co-président et eurodéputé
  • Ardhis (Association pour la Reconnaissance des Droits des Personnes homosexuelles et trans à l’Immigration et au Séjour) : Aude Rieu, présidente
  • Adde (Avocats pour la Défense des Droits des Etrangers) : Morade Zouine, co-président
  • CCFD-Terre Solidaire : Sylvie Bukhari-de-Pontual, présidente
  • Cimade : Henry Masson, président
  • Comede : Didier Fassin, président
  • Crid (Centre de Recherche et d’Informations pour le Développement) : Noura Elouardi, coordinatrice exécutive
  • Emmaüs France : Antoine Sueur, président
  • Fasti (Fédération des Associations de Solidarité avec Tou·te·s les Immigré·e·s) : Camille Gourdeau, co-présidente
  • Fédération de l’Entraide protestante : Isabelle Richard, présidente
  • Forim (Forum des Organisations de Solidarité internationale issues des Migrations) : Mackendie Toupuissant, président
  • GAS (Groupe Accueil et Solidarité) : Philippe Dupourqué, Président
  • Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigré·e·s) : Vanina Rochiccioli, Co-présidente
  • Humanity Diaspo : Rana Hamra, directrice exécutive
  • Ligue des Droits de l’Homme : Patrick Baudouin, président
  • Médecins du Monde : Florence Rigal, présidente
  • Médecins sans Frontières : Xavier Crombé, Chef de Mission France
  • Mrap (Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples) : Jean-François Quantin, co-président
  • Observatoire international des Prisons – section française : Matthieu Quinquis, président
  • Pantin solidaire : Carole Desheulles, présidente
  • Paris d’Exil : Oriane Sebillotte, co-présidente
  • Perou (Pôle d’Exploration des Ressources urbaines) : Jean-Michel Frodon, président
  • Polaris 14 : Bruno Tesan, co-fondateur et directeur
  • RESF (Réseau Education sans Frontières) : Armelle Gardien, coordinatrice
  • Secours xatholique : Véronique Devise, présidente
  • Sidaction : Florence Thune, directrice générale
  • Singa : Benoît Hamon, directeur général
  • Syndicat de la Magistrature : Kim Reuflet, présidente
  • Syndicat des Avocats de France : Claire Dujardin, présidente
  • Thot (Transmettre un Horizon à Tous) : Félix Guyon, délégué général
  • Tous Migrants : Anne Gautier, co-présidente
  • Union syndicale Solidaires : Cybèle David, secrétaire nationale
  • Utopia 56 : Yann Manzi, délégué général
  • VoxPublic : Jean-Marie Fardeau, délégué national