Un tipo strano – soirée cinéma au Méliès – Rencontre avec Samuel Gratacap (17 décembre)

Amadou est un type étrange, un tipo strano. Elena le lui dit alors qu’il est allongé près d’elle sur la plage, après la fête. Amadou se tait et ne dit rien. Il sourit beaucoup, mais il ne dit pas grand-chose. Il se lève, laissant Elena reposer et contemple la mer. Il avait approuvé d‘un hochement de tête quand Elena lui avait fait remarquer : « C’est beau ». mais maintenant il ne dit rien. C’est en lui, dans sa tête, que se bousculent d’autres images. Violentes. Des cris, des vagues, une caméra qui bouge beaucoup, un pneumatique vide, des affaires abandonnées, des vêtements qui flottent. Un naufrage ?

Les images documentaires que Samuel, le réalisateur, a glanées dans ses reportages en Lybie, sur l’Aquarius, au camp de Moria, à Lampedusa … sont insérées régulièrement dans la fiction et le fil du récit autour d’Amadou, le jeune gambien. Comme si elles venaient dire l’envers du sourire et de l’avancée d’Amadou ; Amadou est énergique, il travaille, il marche, il roule, il avance, il veut aller en France. Une force douce qui va. Comme dit Samuel : « il est embarqué et il embarque avec lui ». C’est pour ça que son ami boxeur et Elena le suivent. Que Elena le suit sur des sentiers improbables de montagne.

Sous son sourire juvénile, il y a ces souvenirs. Ces arrachements et traversées de l’inimaginable, de l’horreur peut-être. Il avance pourtant, il nous embarque comme il a embarqué Elena. Malgré ses cauchemars. Les jeunes MNA (Mineurs Non Accompagnés) que nous rencontrons ont aussi ces moments d’absence soudaine, de regards qui se perdent, qui se noient dans des détresses indicibles. Et souvent il n’y a rien à dire devant cette étrangeté soudaine, juste à l’accueillir silencieusement dans une fraternité muette.

La discussion avec Samuel, après la projection du film, a été passionnante. Samuel a tenté de nous faire un peu saisir combien son travail, ses reportages, ses photos, avaient déplacé de choses en lui. Et comment ce premier film était une tentative pour raconter une histoire qui lui tenait à cœur, mais que la forme « reportage » ne lui avait jamais permis de développer ainsi.

J’ai cru comprendre que c’est une façon aussi en donnant une autre vie à ces images documentaires qu’il avait tournées, en les enchâssant ainsi dans une fiction poétique et réaliste, très proche de trajectoires rencontrées ou possibles, de s’en délivrer, comme on cherche à se délivrer de mauvais rêves trop durs, qui pèsent sur nos journées, d’en déjouer le maléfice et de les retourner vers l’espérance d’un futur possible.

Le film de Samuel Gratacap nous a emmené vers beaucoup plus de questions que de réponses. C’était un très beau moment au cinéma Le Méliès à Pau, qui nous a généreusement accueillis, et une belle rencontre. Avec Amadou. Et avec Samuel. Un tipo strano, lui aussi.

C’était au Méliès, le vendredi 17 décembre en soirée, pour célébrer la Journée Internationale des Migrants 2021 (avec un peu d’avance)

Vincent Cabanel

Un tipo strano, film de Samuel Gratacap (45 mn), 2021, les films du Detroit

Photos ci-dessous : extraites du film “Un tipo strano”

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