Lampedusa
L’arrivée d’environ 8 500 personnes cherchant refuge à Lampedusa, mardi 12 et mercredi 13 septembre derniers, a continué de démontrer l’irresponsabilité de l’Europe et de nos dirigeants. 8 500 personnes, c’est à la fois beaucoup pour cette petite île italienne proche de la Tunisie (100 km), et ce n’est rien en regard de la population européenne (450 millions d’européens dans l’Union, soit 0,002 %). 1000 personnes environ à accueillir pour la France, en proportion de notre population et de notre PIB. Mais non ! La solidarité européenne ne joue pas. Chacun se retranche derrière des postures égoïstes et « fermes ». Au lieu de faire face avec humanité et réalisme, l’UE et La France préfèrent laisser l’Italie de Mme Melloni dans l’impasse. Mmes Ursula von der Leyen et Mme Melloni continuent à vouloir sous-traiter à la Tunisie et à son président dictatorial et raciste la fermeture de la frontière maritime, à grands renforts de subvention. L’Europe finance ainsi la Turquie, la Lybie en plus de la Tunisie, ainsi que le Maroc et le Niger. Les moyens de Frontex ne cessent d’augmenter (le budget de Frontex a été multiplié par mille en quinze ans !). Cette politique de sous-traitance de gestion des frontières est inhumaine, honteuse, coûte la vie à des milliers de personnes. Elle est de surcroît absolument inefficace et nous coûte un pognon de dingue, qui serait beaucoup mieux employé à financer l’intégration des immigrés et la sécurisation de routes migratoires légales.
Jugera-t-on un jour tous ces dirigeants européens et africains pour ces crimes contre l’humanité ?
François, Najat Vallaud-Belkacem et Bertrand Badie
Des voix intelligentes et généreuses continuent pourtant de s’élever dans cet univers criminel. François, le pape des catholiques vient à Marseille pour plaider encore et encore pour une Méditerranée qui redevienne une mère, une matrice commune de civilisation au lieu d’être une ogresse complice des peurs et des silences meurtriers. La force de la parole du pape se mesure aussi aux réactions des catholiques d’extrême droite qui attaquent François et tentent de le décrédibiliser. Cette parole est bien une parole éminemment politique.
Dans une très belle tribune (le Monde 20 septembre 2023), Najat Vallaud-Belkacem, présidente de France Terre d’asile et Bertrand Badie, politiste et chercheur, appellent à un changement radical de manière de penser et de voir : ils écrivent avec raison, que les débats médiatiques et politiques autour de la question migratoire témoignent d’une cécité étonnante et d’une retard conceptuel immense : le monde auquel se réfère ces débats n’existe plus. « La migration, jadis exceptionnelle, voire transgressive, devient peu à peu l’avenir du monde ». « La sédentarité, la fixité, l’enfermement prennent lentement mais sûrement les formes du passé, pour incarner à leur tour l’exception de demain. »
En appelant à dépasser les habitudes liées aux « automatismes de la souveraineté », les deux auteurs invitent les Etats à sortir du « bricolage répressif » qui fait l’essentiel des politiques migratoires, pour « préparer dès maintenant ce monde de demain, où la mobilité humaine a toutes les chances de devenir une source d’énergie et d’enrichissement perpétuellement renouvelables. »
Une loi immigration-asile toujours incertaine
Que va devenir ce projet de loi qui traine depuis plus d’un an ? Nous n’en attendons rien de bon. Au moins, si cette loi permettait de régulariser une partie au moins des travailleurs sans papiers ! La tribune de 35 parlementaires de différends bords politiques (PS, PCF, Renaissance, EELV, Modem) dans Libération 11 septembre) a le mérite d’établir une convergence possible sur un minimum atteignable par la voie légale actuellement. C’est insuffisant mais nécessaire. Et ce serait un premier pas, une première garantie dans un débat public irrespirable où nous entendons la droite et l’extrême droite surenchérir pour refuser toute régularisation !
On parle peu du reste de ce projet de loi. Nous en parlerons à Pau le 13 octobre avec une soirée débat, une table ronde à laquelle participeront des invités qualifiés : François Héran (Collège de France), Henry Masson (président de la CIMADE) et quelqu’un du GISTI (MJC du Laü)
L’enfermement des migrants en CRA et les refoulements aux frontières
La France vient de se faire taper sur les doigts par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE – arrêt du 21 septembre 2023 . Saisie par plusieurs associations contestant une ordonnance du gouvernement français rétablissant des contrôles aux frontières françaises internes à l’UE et modifiant le CESEDA (Code de l’Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d’Asile), le Conseil d’Etat a interrogé la CJUE pour demander une décision préjudicielle, c’est-à-dire une décision qui donne le cadre dans lequel le Conseil d’Etat pourra trancher.
Et la Cour de Justice de l’UE donne raison aux associations : le gouvernement français a eu tort ! « Après 8 ans de pratiques illégales du gouvernement français en matière de contrôle et d’enfermement des personnes en migration aux frontières intérieures, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) confirme, dans un arrêt du 21 septembre, qu’elles sont contraires au droit.
La CJUE rappelle à la France qu’elle doit se conformer au droit de l’Union européenne, et il appartient au gouvernement français de prendre des mesures immédiates sans attendre que le Conseil d’État en tire toutes les conséquences. » (communiqué inter associatif : CIMADE, Amnesty, Anafé, LDH, MDM, SAF, ADDE, etc.)
La France est régulièrement condamnée par les cours de justice internationales (CEDH, CJUE, …) dont elle reconnait l’autorité et la légitimité pour enfreindre les droits de l’homme, les lois européennes (« directives »), …
Il serait grand temps que nos gouvernements en tirent les conséquences : il n’y a pas de démocratie complète sans respect des valeurs, des droits de l’homme et de l’état de droit. Sans cela, il n’y a que régime autoritaire et populisme.
Vincent Cabanel