Le sort des mineurs étrangers isolés en France : hypocrisie et absurdité.

Une hirondelle ne fait pas le printemps. Mais c’est un petit signe.

En est-il de même de cette tribune de Jean Arthuis dans Ouest france, ce 12 sept. 2022, (cf. c-dessous en PDF) qui est encourageante pour nos combats.

Jean Arthuis est un monsieur sérieux. Sénateur, ministre, grand argentier, membre et président de multiples instances…. Sa carrière politique de centriste, passé par le Modem, désormais membre de LREM, en fait quelqu’un qui peut avoir l’oreille du prince.

Sa tribune n’est pas un plaidoyer humaniste, c’est une tribune d’homme politique habitué à exercer de hautes responsabilités, pragmatique et voulant être lucide.

Jean Arthuis regarde la réalité en face. Que dit cette réalité ?

Depuis la grève de la faim de Stéphane Ravacley, boulanger de Besançon, en faveur du titre de séjour de son apprenti Laye Traoré, victime d’une OQTF (janvier 2021), de trop nombreuses affaires similaires ont éclaté un peu partout dans l’hexagone. (cf. en fin de page une liste de noms et de lieux avec les liens ad hoc et ici un article du Monde en janvier 2021)

A chaque fois, c’est presque toujours le même scénario : une OQTF pour une raison ou une autre, une mobilisation citoyenne autour du jeune, et parfois après un long combat, le fléchissement du préfet qui finit par accorder le titre de séjour.

Déjà l’an dernier 453 élus avaient signé une tribune le 31 octobre 2021. Le CRDE la relayait sur notre site.

Ces jeunes ne repartiront pas : c’est ce que dit clairement Jean Arthuis. Et il a raison. Inutile de rêver à des politiques de fermeture ou de contrôle plus strict des frontières, inutile de proclamer à l’instar la plupart des ministres de l’intérieur que l’on va augmenter le taux d’exécution des OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français), …

Jean Arthuis fait également justice de la fumeuse rhétorique de l’appel d’air (que les représentants du CRDE ont pourtant encore entendue récemment dans la bouche de responsables de l’administration départementale …). « L’appel d’air a déjà eu lieu du fait de nos législations sociales » que personne ne souhaite réduire (pas M. Arthuis en tout cas dans sa tribune).

La CIMADE

La politique actuelle alimente donc « la fabrique des sans-papiers » pour reprendre une expression de la CIMADE : « Et comme ils n’ont ni les moyens ni l’intention de repartir chez eux, ils se déclarent sans illusions demandeurs d’asile, voués à l’économie parallèle, aux trafics sordides, voire à la délinquance. »

L’hypocrisie des services de l’Etat est à son comble quand une directrice départementale conseille elle-même aux responsables associatifs que nous sommes d’encourager ces jeunes à déposer une demande d’asile, dont elle sait qu’elle est n’a aucune vocation à prospérer, pour pouvoir bénéficier pendant un temps des CMA (Conditions Minimales d’Accueil, destinées aux demandeurs d’asile) … L’Etat encourage à tricher, à utiliser pour autre chose la procédure d’asile, pour pouvoir continuer à faire l’autruche, la tête dans le sable.

La réalité dit aussi que ces jeunes peuvent et veulent s’intégrer, qu’ils peuvent et veulent se former, travailler, qu’ils entrent dans des réseaux de sociabilité où ils se font apprécier, que des citoyens veulent avec force qu’ils restent en France parce qu’ils sont devenus des amis et se mobilisent avec énergie pour eux, que des patrons, des artisans ont besoin d’eux, qu’il y a des places à pourvoir qui sans eux ne seront pas pourvues :

« Partout en France, des postes sont à pourvoir. Autoriser avec discernement les jeunes étrangers dont les parcours d’intégration sont exemplaires et les perspectives d’insertion réelles est un devoir. »

Bien sûr, Jean Arthuis, en bon centriste, nuance ce « devoir » en le pondérant par le « discernement » de l’autorité et « l’exemplarité » du jeune étranger. (on en demande toujours plus aux étrangers qu’aux natifs du pays …) Mais bon ! prenons cette avancée avec satisfaction.

Jean Arthuis va dans le bon sens en tirant cette conclusion logique devant un tel constat.

« Dès lors que ces jeunes ont atteint leur majorité, qu’ils n’ont aucune intention de rentrer chez eux et que nous n’avons pas la volonté, ni les moyens, de les expulser, notre devoir est de leur délivrer un titre de séjour. »

Il faut nuancer pourtant certaines assertions de Jean Arthuis ; Quand il écrit que l’autorité judiciaire est (sous-entendu : toujours) « respectueuse de la présomption de minorité », il se trompe lourdement et c’est là que le bât blesse. Ni les évaluations sociales de l’ASE, ni les évaluations documentaires de la PAF, ni les soi-disant « expertises médico-légales », ni les décisions des juges, ne sont exemptes de reproches, de biais multiples … Et ce quel que soit le département. Les militants qui connaissent bien ces dossiers ont trop souvent le sentiment de loteries injustes.

Par ailleurs, Jean Arthuis a raison de « s’interroger sur les rôles respectifs des départements et de l’État en matière d’accueil et de prise en charge des mineurs étrangers », mais il ne va pas assez loin dans cette réflexion qui mérite d’être approfondie.

De même, il est permis de ne pas le suivre quand il laisse finalement au préfet (représentant de l’Etat) le rôle ultime de décideur en l’’inviter à user de son pouvoir discrétionnaire. Bien sûr, il souhaite pour y inciter les préfets – qui ne sont pas tous dans cet état d’esprit d’accueil – qu’un « signal du gouvernement en ce sens » soit donné.

C’est nécessaire, est-ce suffisant ? On peut penser que non et qu’il serait utile de remettre sur le métier une proposition de loi que le sénateur Jérôme Durain avait introduite en mars 2021 (proposition visant l’intégration des jeunes majeurs étrangers et baptisée « loi Ravacley), mais qui avait été bloquée par la majorité sénatoriale LR.

Je conclue en laissant la parole à un de ces jeunes, qui exprime bien leur ressenti commun :

« Je ne comprends pas, répète Ousmane. On nous aide au départ et ensuite plus rien. C’est comme si on nous faisait monter en haut d’un arbre, et une fois qu’on y est, on le coupe. »

Vincent Cabanel

Une liste rapide de jeunes majeurs victimes d’une OQTF

Cliquez sur chaque nom pour accéder à la pétition ou à l’article sur le mouvement qui l’a soutenu

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