“Appel d’air” : un mythe venu de l’extrême-droite

“Le discours sur « l’appel d’air » est un élément connu de la mythologie d’extrême droite. Il consiste à affirmer que les pays qui accueillent le mieux les migrants, ou même les associations qui les sauvent en mer, provoquent instantanément l’arrivée de nouveaux migrants, aggravant donc le problème qu’ils cherchent à résoudre ; il faudrait donc que chaque État organise activement les conditions internes de son inhospitalité et lutte contre les actions humanitaires des citoyens.” (Jérôme Lèbre – “« Appel d’air », attractivité libérale et inhospitalité absolue” Lignes 2019 n°60 pp.15-38)

Le thème de l’appel d’air est abondamment repris par les hommes politiques de droite dans les médias (Eric Ciotti, Bruno Retailleau …), par des sénateurs comme argument à des amendements “durs”, par des fonctionnaires exerçant d’importantes responsabilités, par des éditorialistes approximatifs, et … par les piliers du bistrot du coin.

Cet appel d’air est une théorie qui n’a jamais été confirmée par quelque étude sérieuse et scientifique que ce soit. Tous les chercheurs reconnus le disent, l’écrivent et le savent. Et quiconque sait faire preuve d’honnêteté intellectuelle le reconnait volontiers, tel récemmment le député Renaissance Marc Ferraci (Français de l’étranger) dans cette émission Sens Public sur la chaine Public Sénat le 27 mars 2023 :

L’Institut Convergences Migrations (CNRS) qui rassemble 600 chercheurs en sciences sociales issus de plusieurs institutions confirme que l’appel d’air est un “mythe”. L’AME (Aide médicale d’Etat) est réguièrement pointée par la droite et l’extrême droite comme un exemple de « welfare magnet » [« l’effet aimant » des bénéfices sociaux]. Mais l’ICM relate une enquête de l’IRDES montrant que 51 % des personnes qui auraient droit à l’AME ne la demandent pas et n’y ont pas recours. (DE Facto n°31). Si l’AME avait un effet réel d’appel d’air, comme le disait par exemple le sénateur Alain Joyandet le 6 décembre 2018, alors tous les exilés sans-papiers devraient se précipiter dessus pour bénéficier de cet incroyable avantage !

C’est ce que confirme une autre étude :

“La qualité de l’accueil pèse en outre peu dans le choix des migrants. Dans un travail publié en 2014, l’économiste Corrado Giulietti (université de Southampton, Royaume-Uni) montre ainsi que la générosité de l’Etat-providence n’est pas un facteur-clé de départ : le « welfare magnet » [« l’effet aimant » des bénéfices sociaux] est « faible ou inexistant ».” (Ariane Chemin – Le Monde – 11 janvier 2023)

Selon les tenants de la théorie de l’appel d’air, il faudrait, pour se prémunir des “vagues” ou des “submersions” migratoires (quand ce ne sont pas des tsunamis) (1), dégrader les conditions de l’accueil des migrants, de façon à les dissuader de venir en France. Soyons attractifs pour les capitaux, mais pas pour les humains …

Mais la France est-elle si attractive pour les migrants que semblent le dire les sycophantes de l’appel d’air ? La France, on le sait, n’a pas “pris sa part” (= une part qui correspondrait à ses capacités en termes de PIB et de population, comparativement aux pays de l’UE) dans l’accueil des réfugiés de Syrie, d’Afghanistan, d’Irak, et même d’Ukraine (2).

“Si la France était aussi attractive qu’on le prétend, elle aurait dû être assaillie de demandes de protection dans une proportion très supérieure et se retrouver ainsi aux tout premiers rangs de l’accueil européen. Il n’en a rien été.
L’argument de l’attrait excessif exercé par la France sur les demandeurs d’asile était conforme à la logique du déni d’immigration : grossir l’afflux des demandes pour pouvoir mieux justifier son rejet.”
(François Héran, Immigration : Le Grand déni – Seuil 2023, p 46)

François Héran rappelle ensuite que la déclaration d’Angela Merkel du 31 août 2015 “Wir schaffen das” (nous y arriverons) ne va pas accélérer le mouvement d’arrivée des demandeurs de refuge mais seulement l’accompagner, et le légitimer.

Enfin d’autres études ont montré qu’à l’inverse des fermetures ou des militarisations de frontières, “plutôt que de réduire l’immigration irrégulière, avait eu l’effet contraire de l’augmenter, transformant une mobilité circulaire (…) en une population sédentaire (….)” (3)

Selon Cris Beauchemin (directeur de recherche à l’INED), la fermeté des politiques migratoires engendre même un effet paradoxal : les études internationales démontrent que les pays d’accueil qui multiplient les obstacles à l’immigration incitent les migrants déjà présents sur le territoire à s’installer durablement. « Quand les visas sont difficiles, voire impossibles à obtenir, les étrangers risquent, s’ils retournent au pays, de ne plus pouvoir revenir. Ils renoncent donc à leurs allées et venues – et, parfois, font venir leurs familles. » Les élus qui redoutent le fameux « appel d’air » ignorent sans doute tout de ce phénomène d’enracinement. (Ariane Chemin – Le Monde – 11 janvier 2023)

La théorie de l’appel d’air est une “croyance”. C’est une croyance irrationnelle, infondée. Comme certains croient aux fantômes ou à un complot des Illuminati. Ou à la Terre plate. IL est juste dramatique et épuisant de voir que des personnes politiques, censées être capables d’exercer des responsabilités publiques, voter des lois, orienter des politiques, prendre des décisions, puissent le faire en étant à ce point aveuglées sur les idées fausses qui les dirigent.

Vincent Cabanel

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