Le démographe, le plombier et le policier.

Le 15 septembre dernier, le président Macron a prononcé à l’Elysée un long discours devant le corps préfectoral.

Dans ce discours, M. Macron a annoncé un nouveau texte de loi sur l’immigration pour début 2023. Cela ne sera jamais qu’une loi de plus venant s’ajouter à la vingtaine de lois sur le sujet, votées, promulguées et jamais évaluées depuis une trentaine d’années.

Au cours des 10 mn du discours présidentiel consacré à l’immigration, M. Macron a abondamment convoqué les métaphores de la mécanique des fluides, endossant ainsi un costume de plombier, avant de se muer en démographe mêlant répartition des étrangers réfugiés ou demandeurs sur le territoire national avec l’aménagement du territoire pour combler les prochains creux démographiques dont souffriront certaines parties de la France (en gros : la diagonale du vide). mais in fine, c’est le costume du policier qu’il réendossera le plus souvent dans son discours : on sent comme un habitus.

Le plombier et la mécanique des fluides de l’immigration

Cette métaphore du fluide pour parler des personnes immigrées est un classique du genre : cette rhétorique a pour effet de déshumaniser ceux dont on parle : ils ne sont plus des individus, des personnes, mais sont rendus indistincts dans un “tout” liquide, menaçant. La rhétorique utilisant ces métaphores de “maîtrise des flux”, de “vagues”, de “pression” évite d’utiliser le registre métaphorique de l’invasion, tout en le laissant entendre, en évoquant quand même une menace : l’inondation, la submersion, la noyade, le tsunami…. mots dont ne se prive pas l’extrême droite.

On objectera que les notions de “flux” et de “stock” sont utilisées par les démographes. Certes, mais elles le sont dans un registre sémantique de description scientifique, et non dans un registre sémantique politique de “gestion” (gérer les flux, les ralentir, les maîtriser, les contrôler, etc.) : différence énorme.

Quant à la pression migratoire, le concept est flou : un chercheur et économiste suisse, Thomas Straubhaar, resitue ainsi cette notion sujette à caution :

Résultat de décisions politiques, la pression migratoire apparait quand les pays d’immigration imposent des restrictions à l’admission des étrangers.”

Pour un autre économiste US, Peter V.Schaeffer, ” le concept de pression migratoire traduit l’inquiétude que suscite le contrôle des flux de migrants”.

La pression migratoire n’est pas une grandeur indépendante de notre attitude. C’est notre fermeture à la migration qui créée la pression que déplore le président et contre laquelle il veut lutter … avec encore plus de fermeture. Le plombier voudrait fermer les robinets.

Quand M. Macron pousuit sa mue en démographe, il n’est pas plus convaincant : ce serait la grande innovation de ce discours que de proposer une meilleure répartition des étrangers et exilés sur le territoire national. L’intention paraît louable. Aménagement du territoire ? Plusieurs élus et plusieurs observateurs qualifiés lui ont fait remarquer que la destruction opinâtre des services publics dans les territoires ruraux, dans les petites et moyennes villes, ne créait pas des conditions favorables à l’installation de populations en déshérence. Au demeurant, le volontarisme humaniste de plusieurs élus a précédé M. Macron : dans des endroits ignorés des medias parisiens, des exilés se sont tranquillement installés, bien accueillis par des français beaucoup plus ouverts et intelligents que leurs soi-disant leaders politiques ou médiatiques.

Passons sur le côté opportuniste de la chose : “mettons des migrants là où la natalité est en baisse” comme un palliatif démographique (Michel Debré, en son temps, avait bien “importé” des enfants de l’Île de la réunion en Creuse !!) . Passons sur les atteintes au droit à la libre circulation qui pourraient résulter de ces “assignations à résidence”, déguiséés sous de grandes argumentations saint-simoniennes. Passons pudiquement sur ces “glissades” de la “pensée” présidentielle…

Car, en fait, c’est le costume du policier que préfére notre monarque républicain.

Il avait bien comme à chaque fois évoqué l’humanité. Comme un exercice de style obligé, il a expédié la prétendue “humanité” de sa politique en 20 secondes pressées (sur une séquence discursive de 10 mn). Il a bien promis “un effort sur l’hébergement”, mais sans le chiffrer surtout (alors qu’il y a un déficit d’au moins 45 000 places correctes rien que pour les demandeurs d’asile, sans compter les MNA, etc.)

L’humanité en 20 secondes chrono

Mais la pointe, la vraie pointe de son discours, c’est l’efficacité revendiquée de sa politique.

Quelle est la mesure macroniste de l’efficacité ? C’est la capacité à expulser. Ce pourrait être la capacité à intégrer. Non. L’important c’est la puissance d’expulsion des irréguliers, décrétés indésirables. Sa préoccupation, c’est avant tout “d’améliorer l’efficacité de nos politiques de reconduite” (aux frontières, à l’extérieur, à l’étranger). Il incite donc les préfets à ne surtout pas renoncer à prononcer des OQTF, à envoyer des gens en CRA.

Et qu’est ce qui amoindrit cette efficacité de l’expulsion (“reconduire, raccompagner”) : la pandémie qui nous a empêché de renvoyer, mais surtout : “notre modèle qui accumule trop de protections, trop de voies de recours“, “notre système d’aide qui est beaucoup trop généreux“. Il faut moins de droits, il faut des procédures moins protectrices. Nous ne sommes pas concurrentiels par rapport aux autres pays européens (dans une Europe gangrenée par l’extrême droite) sur le grand marché de l’expulsion ! Il faut aller plus vite dans les procédures pour “lutter contre ceux qui utilisent” à l’excès (selon Macron) les voies de recours. Lutter contre des humains fragiles, voilà la politique macronienne de l’immigration et de l’asile. Surtout ne pas s’interroger sur la justice, sur les décisions de l’OFPRA et de la CNDA, sur un taux d’acceptation de l’asile extrêmement faible de la France (26 % contre 50 % en Allemagne) en Europe. Ne nous interrogeons pas sur la mise en oeuvre “très partielle” par la France des mesures de répartition européenne des migrants lors de la crise de 2015.

Comment améiorer l’efficacité des expulsions ….

Notre vénéré président réécrit la réalité selon ses voeux : nous serions le “premier pays d’accueil de mouvements migratoires dits secondaires” (après l’arrivée en Grèce, Italie, ou Espagne, les migrants bougent vers d’autres pays : mouvements secondaires). Cest faux, M. Macron. Tout simplement faux. Sur quels chiffres fantaisistes s’appuient ces allégations de fanfaron ? Rien ne nous le dit. Peu importe que l’Allemagne, qui n’est pas un pays connu pour son rivage méditerrannéen, soit championne de l’immigration (François Héran). Ne pas s’interroger non plus sur le rang de la France en matière d’accueil des exilés (15ème ou 16ème rang européen)

L’humanité macronnienne consiste à rabaisser notre générosité, à diminuer les droits, à restreindre les voies de recours…

La voie est ouverte pour la réforme régressive, répressive et réactionnaire que le ministre de l’Intérieur veut infliger au CESEDA (Code de l’Entrée et du Séjour des Etrangers en France et du Droit d’Asile). Nous en reparlerons, parce que nous ne voulons pas avaler cette potion amère.

Vincent Cabanel

Si vous voulez regarder le discours entier de Emmanuel Macron aux préfets, c’est ICI

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