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La Manche ne doit pas devenir un autre cimetière

Crédit Photo : Benjamin Sourice

Ils étaient 27. Ou 30. Ou peut-être plus. Ils sont morts noyés dans une mer froide, une journée d’automne froide, mercredi 24 novembre après-midi, dans le nord de la France, dans la Manche. Ils allaient vers l’Angleterre. C’étaient des hommes, des femmes, des enfants. Une femme enceinte, une fillette, … Ils avaient marché, passé des déserts et des montagnes, franchi déjà mille et un obstacles. Ils rêvaient seulement d’une vie tranquille et paisible dans un pays qu’ils imaginaient hospitalier.

Les passeurs, des coupables commodes

Nos gouvernants ont aussitôt entonné le refrain classique : « les premiers responsables, ce sont les passeurs. » Et au passage, plusieurs ont également mis en cause de façon plus ou moins claire les ONG et les associations qui feraient le jeu des passeurs, voire en seraient les complices.

Plusieurs voix, politiques, associatives, médiatiques ont répliqué à ces ministres trop sûrs de leur fait. Certes, les passeurs sont des individus sans scrupules, qu’on a du mal à qualifier en restant poli. Mais ces passeurs n’existeraient pas s’il n’y avait pas un marché de la traversée vers l’Angleterre. Et ce qui créée ce marché, ce sont les politiques migratoires restrictives et indignes de la France et de la Grande Bretagne.

La politique xénophobe anglaise

La politique de la Grande Bretagne, d’abord : il n’existe plus de voie normale accessible à un exilé pour entrer au Royaume Uni afin d’y déposer une demande d’asile. La Grande Bretagne sous-traite la gestion de sa frontière avec le continent à la France. depuis les accords de Sangatte et du Touquet La France a accepté de jouer à l’égard des Britanniques le rôle que jouent la Turquie et la Lybie vis-à-vis des Européens. Moyennant finances ; c’est la même posture. Il s’agit de retenir les migrants pour le compte d’un autre, de les parquer sur son territoire dans des conditions déplorables avec l’espoir de les dégoûter. La Grande Bretagne pratique la politique dite du « push back »[1] pourtant proscrite par les conventions internationales. La récente lettre de Boris Johnson à Emmanuel Macron est du même acabit : elle demande à la France de reprendre les migrants qui ont réussi à franchir le Channel. La folie xénophobe qui a conduit au Brexit continue de sévir chez les politiciens anglais. En 2020, le nombre de demandes d’asile a été trois fois plus faible en Grande Bretagne qu’en France.[2]

Video montée par @caissesdegreve. La militante qui intervient en contrepoint est Claire Millot, secrétaire générale de l’association Salam qui soutient les migrants dans le Calaisis et à Dunkerque

La France est loin d’être sans reproche.

Non contente de jouer les chiens de garde de ses voisins, pour empêcher tout accès aux îles britanniques, la France a une politique d’accueil des exilés tellement restrictive que ceux-ci ne cherchent qu’à la fuir. D’autant que l’application des règlements de Dublin conduiraient beaucoup d’exilés à se voir refouler vers les pays par lequel ils sont entrés en Europe. Paradoxe honteux que de voir ces personnes qui cherche un pays respectueux de leur droit à vivre dignement, fuir, après leur pays d’origine, le pays de la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.

La politique d’accueil à Calais, Grande Synthe, Dunkerque, Sangatte est – on ne le sait que trop – une honte pour la France. Tentes lacérées, expulsions répétées, absence de solutions pérennes, obstacles aux distributions alimentaires, aux distributions d’eau et de produits de première nécessité. La récente grève de la faim de 3 militants nous l’a rappelé avec force : la maltraitance des exilés est une réalité quotidienne sur les bords français de la Manche et de la mer du Nord. La mission de Didier Leschi n’a été qu’une mise en spectacle de la fausse sollicitude de l’Etat. Comment permettre à ces exilés de se poser, de prendre le temps, d’élaborer d’autres projets, alors que l’Etat les fait vivre dans de telles conditions dégradées et misérables, sous une telle pression, dans une telle précarité voulue et orchestrée.

Des solutions existent

Il est urgent de remettre en cause les accords du Touquet et de Sangatte. De très nombreuses voix le réclament depuis longtemps, ainsi la CNCDH.[3] Il faut restaurer des voies légales d’accès à l’immigration et à la demande d’asile en Grande Bretagne. Il faut des couloirs humanitaires, des corridors. Il faut restaurer en France et en Europe une meilleure politique de l’asile et de l’accueil des exilés pour éviter que le désespoir de ces hommes et ces femmes ne les poussent à tenter les pires dangers pour tenter de trouver une issue.

La répression ne fera que favoriser l’occurrence de nouveaux drames. Il ne sert à rien d’accroitre les contrôles comme le veulent MM. Macron et Leschi, de vouloir renvoyer les demandeurs d’asile en France, comme le veut M. Johnson ou de promettre des lois encore plus restrictives sur l’asile comme le soutient Mme Patel (ministre de l’Intérieur britannique).

Mais le plus important est de convertir l’opinion publique de nos pays : accueillir les demandeurs d’asile et les exilés est un devoir, c’est aussi une chance et un enrichissement pour nos pays. Tant que nous aurons une vision menaçante de l’arrivée d’exilés « chez nous », tant que nous ne passerons pas à une compréhension de l’économie de l’hospitalité, tant que nous aurons gestion policière de l’immigration, nous n’arriverons à rien et de nouveaux drames se produiront. Le voulons-nous ?

Vincent Cabanel


[1] Le push-back désigne le refoulement des exilés aux fontières pour les empêcher d’entrer dans un pays afin d’y demander l’asile. Cette pratique, reprochée par exemple à la Bulagarie, la Hongrie ou la Grèce par le HCR est condamnée par le droit international et européen.

[2] Source Ouest France : « Selon le Haut-commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCRNU), 29 465 demandes d’asile ont été déposées au Royaume-Uni en 2020, contre 95 600 en France. »

[3] Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme

Commission d’enquête parlementaire sur les migrations

La Commission d’enquête a rendu son rapport la semaine dernière. Et ce n’est pas triste. Elle étrille le gouvernement ! Présidée par le député de Haute-Garonne Sébastien Nadot (groupe Libertés et Territoires), avec la députée de la Manche Sonia Krimi (groupe LREM) en tant que rapporteure, elle dénonce une « gestion coûteuse et inefficace« , une politique qui à terme « n’est pas tenable« , elle appelle à rompre avec une « gestion policière de l’immigration« , elle demande le « développement de voies d’immigation légale« , elle affirme et déplore que « la promesse républicaine n’est pas tenue« ….

Revue de presse (non exhaustive) :

Le lien vers le rapport lui-même

453 élus dénoncent la situation absurde des Jeunes majeurs étrangers

En 2021, l’actualité a été émaillée par la répétition régulière d’une événement type : un jeune étranger, arrivé mineur en France, pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE), et qui a suivi une formation professionnelle, obtenu un CAP, trouvé une entreprise, se voit confronté à sa majorité ou un an plus tard lors du renouvellement de sa carte de séjour, à l’absurdité : la préfecture de son département conteste l’authenticité de ses papiers (sur lesquels pourtant il a été reconnu comme mineur par l’ASE ou par le juge des enfants) et lui refuse un titre de séjour. Il y a autour du jeune travailleur un comité de soutien , parfois une famille d’accueil, le patron de l’entreprise (généralement un artisan) qui veut garder cet ouvrier qui bosse bien, qui s’est intégré ….

Ces jeunes s’appellent Laye, Lamine, Mamadou, … ils sont boulangers, électriciens, plombiers, … ils sont dans le Sud Ouest, en Franche Comté, en Normandie, en Occitanie, dans le Centre, …

Le cas le plus médiatisé a été celui de Laye, apprenti boulanger à Besançon, parce que son patron s’était lancé dans une grève de la faim pour obtenir sa régularisation. Stéphane Ravacley, l’artisan boulanger, a créé depuis une association « Patrons solidaires » qui réunit des chefs d’entreprise confrontés à ces absurdités.

Ce 21 octobre 2021, 440 élus se sont réunis pour signer une tribune dans Le Monde appelant l’Etat à changer de logique et à appliquer les solutions de bon sens, qui existent dans l’arsenal réglementaire :

« En effet, au lieu de délivrer de manière quasi automatique des OQTF fondées notamment sur des difficultés liées à l’état civil du demandeur, l’État devrait réaliser une évaluation plus approfondie de la situation et des perspectives d’intégration du demandeur dans la société française, comme la réglementation l’y invite. A ce titre, un arrêté du ministre de l’intérieur d’avril 2021 prévoit, au titre de l’admission exceptionnelle au séjour, la prise en compte de « la volonté d’intégration » de la personne. »

Parmi ces élus, le CRDE salue notamment la présence de Jean-Yves Lalanne, maire de Billère (agglomération paloise 64), de Marion Bussy, Emma Camelot et Tuncay Cilgi (conseillers municipaux de Pau). Le CRDE souhaite que cette initiative, relayée par l‘ANVITA, aboutisse à des suites positives pour tous les jeunes majeurs étrangers.

Vincent Cabanel (équipe d’animation CRDE)

Lire aussi :  Besançon : un apprenti boulanger guinéen menacé d’expulsion régularisé, après la mobilisation de son patron

« La situation des jeunes majeurs étrangers représente un terrible gâchis humain et social »

 Malgré une formation diplômante, la difficile obtention d’un titre de séjour à 18 ans pour les mineurs non accompagnés

Soutien aux réfugiés afghans

Deux actions ont été menées par le CRDE : un tract de soutien au peuple afghan a été édité, imprimé et distribué toute la journée du samedi 25 septembre devant la foire exposition de Pau. Plusieurs associations du CRDE se sont mobilisées.

1 500 tracts ont été distribués, qui ont donné parfois lieu à des discussions. Le CRDE a été bien accueilli par la Foire Exposition.

Le CRDE a également écrit aux 31 maires de l’agglomération de Pau et aux 7 parlementaires, sénateurs et députés du Béarn, pour les alerter sur la situation dramatique des réfgés afghans et demander :

aux élus municipaux d’accueillir des réfugiés afghans sur l’agglomération

aux parlementaires, de prendre les mesures réclamées dans le tract ci-après.

Naissance du Site du CRDE

Le Collectif pour le Respect des Droits des Etrangers – CRDE Solidarité Migrants crée son site web ce jour du 22 octobre 2021.

Il vise à donner une visibiité au Collectif, à le faire connaître, à être une plateforme aiguillant vers les associations qui le composent (14 à ce jour), permettre à ceux qui veulent devenir bénévole, militant, sympathisant de contacter le collectif et les associations, informer sur nos actions.

Plusieurs entrées sont possible sur le site :
–> une entrée par association
–> une entrée par type d’investissement souhaité par le visiteur du site
–> une entrée par les événements organisés par le CRDE ou ses membres
–> une entrée par les articles du Blog